Champs de colza, Amiens en arrière plan
En Picardie, il y a de moins en moins d'agriculteurs mais de plus en plus de céréaliers.
Pour comprendre, il faut distinguer quatre sortes d'agriculteurs: les éleveurs laitiers qui tirent la majeure partie de leur revenu du lait de vache, les céréaliers qui produisent surtout du blé et du colza, les polyculteurs, spécialisés dans les pommes de terre ou les betteraves, et les polyculteurs-éleveurs, qui pratiquent élevage et cultures sur leurs fermes.
Entre 2000 et 2010, le nombre d'exploitations agricoles a encore chuté (- 3000) en Picardie. Ce sont surtout les polyculteurs (-800), les polyculteurs-éleveurs (-1100), les éleveurs laitiers (-700) qui manquent à l'appel. Les céréaliers, eux, sont plus nombreux (+700).
Avec l'abandon des activités chronophages et de moins en moins rémunératrices comme l'élevage laitier dans tout l'est du département de la Somme ou la culture de pommes de terre de fécule à l'est d'Amiens, de plus en plus d'agriculteurs picards sont devenus céréaliers.
En dix ans, les comptes agricoles de la Picardie ont donc vu apparaître 700 nouvelles exploitations spécialisées dans les céréales. Et ce ne sont rien d'autre que d'anciennes fermes de polyculteurs ou polyculteurs-éleveurs.
Une profession attractive
À l'échelle de la Somme, cette «céréalisation» entraîne des pertes d'emploi (voir notre article). À l'échelle de l'agriculteur, la transformation en céréalier est souvent vécue comme une libération pour les nouvelles générations (voir notre article). Moins de contraintes et plus de temps pour la famille.
En décembre dernier, les céréaliers ont fait l'actualité par le niveau record atteint par le revenu de leurs exploitations. Les exploitations céréalières françaises avaient dégagé 72 100 euros de revenu par actif, en moyenne sur l'année 2012. Soit 6000 euros par mois.
Alors quel métier se cache derrière ce secteur béni du marché des matières premières?
Serge (son nom a été modifié) exploite une ferme, près d'Amiens. C'est un céréalier. Il cultive du blé essentiellement, mais aussi du colza, de l'escourgeon, du maïs, du pois et de la féverole.
«Je n'ai pas l'impression de le voir souvent à la maison. Ses journées sont bien remplies», explique sa compagne. Pour raconter le métier de Serge, difficile de parler d'une semaine type. «Je travaille en fonction des conditions climatiques». Mieux vaut parler d'année type, du semis à la moisson.
Serge ne partira pas en vacances cet été. Il doit faire les moissons dans quelques semaines. Escourgeon, blé et colza au programme.
Avant la moisson, la tension monte pour savoir combien sera vendue la récolte. Serge surveille les cours sur internet. «Deux à trois heures par jour sur internet, explique-t-il. On regarde si on est vendeur ou pas».
Le rush de juillet à novembre
L'été, c'est le rush. «Quand on moissonne, on ne regarde pas les heures». Les moissonneuses récoltent environ deux hectares à l'heure. Le chantier s'étale sur plusieurs jours, souvent jusque tard dans la nuit. Un travail qui peut être régulièrement suspendu, pendant deux ou trois jours pour cause de pluie.
«Après la moisson, on fait un break. On va voir les copains, on donne des coups de main», explique Serge. Et puis rapidement, les travaux des champs reprennent, il faut remonter sur le tracteur.
Champs de colza, l'autoroute A29 en arrière plan
Après la récolte, il faut enrichir le sol. Serge retourne les chaumes (partie des tiges qui restent dans le sol après la moisson), puis épand du composte et de l'engrais sur la terre fraîchement mise à nu. Trois interventions. Là aussi à une vitesse de deux hectares par heure. Sur certaines parcelles, on sèmera du colza juste après les amendements.
Début septembre, une journée est réservée aux semences de blé et d'escourgeon que Serge fait préparer par un prestataire à partir de sa propre récolte. Entre fin septembre et fin novembre, une autre journée est consacrée à l'arrachage des douze hectares de betteraves.
En septembre, c'est la période du «travail de la terre». Trois passages de tracteur en plaine pour remuer la terre et faire griller au soleil et au vent les mauvaises herbes et les ravageurs (limaces, taupins).
Au mois de novembre, il faudra aussi une journée à Serge pour battre ses quatorze hectares de maïs. Et l'année se termine généralement par les semis de blé. «Le temps de faire tout ça, on ne s'amuse pas», assure Serge.
Les «vacances» de Serge c'est l'hiver. Pendant trois mois de la fin novembre à mi février, il ne travaille plus dans les champs, sauf pour les labours d'hiver.
Il peut alors s'échapper de la ferme. «L'hiver, je chasse, je vais voir les amis.» Mais sa vie d'agriculteur ne s'arrête pas complètement. «On est un peu comme un professeur d'école. Si tu lui demandes ce qu'il fait de ses vacances, il te répond qu'il prépare ses cours. Je vais à des réunions techniques.»
Champs de colza, Amiens en arrière plan
Jusqu'en 1995, Serge était polyculteur-éleveur. «L'élevage de porcs, j'aimais bien ça. Mais j'ai du arreter à causer du prix du porc et de l'image de la production.» Lui et sa femme élevaient des porcs en plus de cultiver les champs.
Un gros temps-plein
Combien d'heures un céréalier passe-t-il à travailler ses champs? Il faut compter 10 heures par an et par hectare de blé ou de colza, selon CER France, une entreprise d'experts comptables spécialisés dans l'agriculture.
Selon ces estimations, un céréalier moyen de la Somme, et ses 97 hectares de cultures, passerait environs 1000 heures à travailler sur son exploitation, si l'on enlève les temps d'entretien des machines et de gestion administrative. Cela représente moins d'un temps-plein légal en France (1650 heures annuelles selon l'Insee.)
En moyenne, les céréaliers semblent plutôt bien lotis au niveau du temps de travail. Chez Serge, ce n'est pas le cas. Avec 175 hectares de cultures, dont 13 hectares de betterave (13 heures de travail par hectare), il dépasse largement les 1650 heures annuelles.
Faisons le calcul :
12 ha de betterave x 12 heures: 144 heures
4 ha d'orge de printemps x 10 heures: 40 heures
14 ha de maïs x 14 heures: 196 heures
145 hectares de blé, colza, pois ou féverole x 10 heures: 1450 heures
Total: 1830 heures
Et c'est sans compter sur la «paperasse». Compter deux heures par mois pour les agriculteurs qui font faire leur comptabilité par un prestataire, assure CER France. Huit heures par semaine, estime Serge, qui contrairement à beaucoup d'agriculteurs fait sa comptabilité lui-même.
Côté salaires, les céréaliers samariens sont franchement bien lotis. Ceux observés par les comptables de CER France avaient en moyenne une surface de 141 hectares. En moyenne, ils se sont chacun réservés un revenu annuel de 42 000 euros en 2012, soit 3500 euros par mois.
Parmi les plus grandes exploitations observées, 158 hectares en moyenne, les exploitants ont dégagés un revenu de 85 210 euros en moyenne. Autrement dit: 7100 euros par mois.