Une dame, la cinquantaine, s'avance vers un jeune militant et lui lance vertement. «Hubert ou Alain ?» Un peu surpris, il ne saisit pas tout de suite. «Pour les municipales, tu soutiens qui?... Hubert? Ah. C'est bien, moi aussi.» Puis, elle quitte la pièce pour s'en aller sonder d'autres militants. Ce soir-là, au siège de la fédération UMP de la Somme à Amiens, elle est presque la seule représentante de sa génération. Presque la seule femme aussi.
On est jeudi soir. Le moment de la semaine où les Jeunes populaires – les Jeunes pop' – se réunissent pour parler de l'actualité, pour débattre, pour organiser des sorties, ou pour gérer les affaires courantes. Cette fois-ci, c'est la retransmission télévisée du débat Copé/Fillon sur France 2 qui a rassemblé. Au fond de la salle, un grand écran va bientôt diffuser l'émission «Des paroles et des actes», une trentaine de chaises sont disposées devant, dans un coin certains préparent quelques victuailles, à l'extérieur d'autres grillent une cigarette.
Dans la Somme, les pros Fillon semblent ultra-majoritaires chez les jeunes UMP. «Mais nous avons invité tout le monde», précise Pierre Savreux, le responsable départemental des Jeunes populaires, très attaché à préserver l'unité d'un groupe militant dont les effectifs ne cessent de croître. Ils seraient 200 jeunes militants UMP dans la Somme. Ce nombre aurait doublé entre 2011 et 2012.
Qui sont-ils? D'où viennent-ils ? Que veulent-ils? Voici les portraits de quatre adhérents, symboles de la «génération Sarkozy», qui s'apprêtent à participer à leur premier congrès.
Thomas Masson a fait adhérer 80 personnes à lui tout seul. Difficile de faire plus efficace, en deux ans seulement. Autant dire qu'il est l'un des principaux artisans de l'accroissement des effectifs chez les jeunes UMP dans la Somme.
Originaire de Bougainville, petite commune de moins de 500 habitants située à côté de Molliens-Dreuil, il passe d'abord un bac STI génie civil avant de rejoindre l'IUT d'Amiens. Un cursus qu'il ne poursuivra pas jusqu'au bout, préférant s'engager dans un BTS bâtiment par alternance.
Dans sa famille, on ne parlait pas trop politique à table. Des parents «plus de droite que de gauche» mais pas des militants. Lui s'intéresse à la politique assez tôt. «Je trouvais que les jeunes ne s'y intéressaient pas beaucoup, je me suis dit qu'en m'y mettant mes amis s'y mettraient aussi.» Pari gagné.
Thomas Masson, grand recruteur.
S'intéresser à la politique d'accord. Mais pourquoi à l'UMP ? «C'est le parti qui me ressemble le plus, celui qui est le plus proche de mes valeurs.» La «valeur» que Thomas Masson place au dessus de toutes les autres c'est le travail. «Mes parents m'ont appris à travailler, explique t-il. Et on m'a toujours dit que ceux qui ne voulaient rien foutre et profiter du système votaient à gauche. Je me suis investi en politique pour montrer à mes parents que l'on pouvait réussir.»
Début 2010, il entre à l'UMP. «Un jour, j'étais sur Facebook. Je suis allé voir le profil du copain d'une amie. Il était membre des Jeunes populaires. J'ai vu qu'ils faisaient une sortie karting à Roye le samedi. J'y suis allé, j'ai adhéré le jour même.» À la même époque, il lâche l'IUT. Ce qui lui permet d'avoir un deuxième semestre 2010 assez tranquille. Ça tombe bien, c'est justement la période des élections régionales.
Il s'engage à fond dans la campagne. «Je ne connaissais personne au début mais je suis un bosseur. Je suis sorti un petit peu du lot, j'étais l'un des militants les plus actifs.» Aujourd'hui, il est responsable jeune de la deuxième circonscription, «celle où il y a le plus d'adhérents».
Son badge «Team Fillon» accroché au pull, Thomas Masson souhaite la victoire de l'ancien premier ministre au congrès de son parti. «Il arrivera à rassembler tant le Nouveau centre que les indécis du FN.» Déjà fin stratège, il voit aussi en l'hypothétique élection de Jean-François Copé un risque pour l'UMP à Amiens. «Si Copé est élu, il voudra sûrement resserrer les listes autour de l'UMP aux prochaines élections, ne pas faire vraiment d'alliance avec le Nouveau centre.» Or, à droite à Amiens, le rapport de force n'est pas en faveur de l'UMP. «Ici, le Nouveau centre est majoritaire surtout chez les élus, les adultes. En revanche on est dix fois plus nombreux qu'eux chez les jeunes.» Résultat : s'il y avait deux listes à droite à un premier tour d'élection, c'est celle menée par les centristes qui passerait devant. Éliminant l'UMP.
Originaire de Friville-Escarbotin dans le Vimeu, David Morda habite aujourd'hui Amiens. Au lycée Michelis il passe cette année son bac littéraire et prépare des concours pour rentrer à Science-Po Paris ou Science-Po Lille. Passionné d'affaires publiques, il ambitionne «pourquoi pas» d'intégrer l'ENA pour travailler dans la fonction publique.
Cela fait huit mois qu'il a adhéré à l'UMP. «Avant, je ne m'y intéressais pas du tout. Et fin 2011, j'ai écouté, pour la première fois, le message du Président pour le nouvel an à la télé.»
Sa famille est de droite «par tradition», une mère gendarme, un père ingénieur. Tous deux étaient au RPR. «Quand le Président a annoncé sa candidature au JT de TF1, j'ai voulu ne plus seulement être observateur mais être acteur.»
David Morda, adhérent depuis mars 2012.
Fin mars 2012, il se rend à une réunion publique animée par Nadine Morano à Dury. Dès lors le militantisme commence: collage d'affiches, tractage «mais seulement dans les boîtes aux lettres». Puis, lors des élections législatives, l'assurance venant un peu, il se met à distribuer des tracts directement aux gens, à Corbie, pour la réélection d'Alain Gest.
Le duel Fillon/Copé ? Pour David Morda, cela ne changera pas grand-chose que l'un ou l'autre soit élu. «C'est la même famille politique», tranche t-il. Néanmoins, il a choisi son camp: celui de Jean-François Copé.
«Nous allons élire un président pour diriger l'opposition. Copé est plus incisif dans ce rôle. Fillon a une attitude trop passive, je l'aime bien mais il n'est pas spécialement dynamique. Copé, lui, a une grande gueule, il y va franchement.»
Que pense-t-il du positionnement de son champion, prompt à chasser sur les terres de l'extrême droite? «L'histoire du pain au chocolat, c'est une image qu'il essaye de se donner. En 2007, c'est ce que Nicolas Sarkozy avait fait. Ça attire les électeurs du FN. Et ça marche, dans les médias tout le monde en parle.»
Le racisme anti-Blanc? «Je l'ai subi. Il m'est arrivé de me faire traiter de “sale Français” au lycée. Et après on m'a dit que j'avais une tête de facho. Dans ces cas là, on a tendance à réagir un peu vite. J'ai pensé: “Moi je suis d'origine de la France, pas toi!”. Mais je n'ai rien dit, je n'avais pas envie de me faire frapper.»
Lors du congrès, les adhérents UMP devront aussi voter pour des motions. Il y en a six. Les votes détermineront l'orientation politique du parti. David Morda a choisi celle de Jean-Pierre Raffarin intitulée «La France Moderne et Humaniste». «C'est une motion qui se situe au centre du parti. Et puis, je suis libéral.»
«Si je veux faire de la politique, le droit c'est un plus.» MB est en troisième année de licence Administrations publiques après avoir réussi un DUT Gestion des entreprises et des administrations (GEA) à Amiens. Il habite cette ville depuis le lycée, avant, il a grandi à Vignacourt avec un père artisan maçon, une mère agent de production. Dans la famille, personne n'est engagé politiquement. «Je confondais tous les partis. C'est en Terminale, au lycée, que je suis vraiment né à ce domaine. Maintenant, c'est une drogue.»
Il adhère à l'UMP en 2010 via le site internet du parti. Mais il a attendu un peu avant de militer. «Jusqu'en 2011, je ne venais pas [aux réunions, ndlr]. J'ai mis un an avant de me plonger dans le bain.»
Pouquoi l'UMP ? «Ce sont mes valeurs: le travail, le libéralisme économique, l'humanisme.» Comme chez beaucoup de militants de sa génération, il témoigne d'un «fort attachement à Nicolas Sarkozy. Il a attiré énormément de jeunes».
MB s'occupe d'animer la page Facebook des «Jeunes populaires de la Somme» ainsi que celle des «Fidèles sarkozystes de l'UMP». En revanche, «les collages d'affiches la nuit, tout ça, c'est pas [sa] tasse de thé».
Lors de son passage en IUT, il a eu l'occasion d'effectuer des stages auprès de Brigitte Fouré. «Je m'occupais de l'accueil physique, téléphonique, je l'accompagnais dans ses déplacements, je faisais des comptes-rendus.» Pourtant, cette expérience ne l'a pas rapproché du Nouveau centre. Son favori pour 2014 à Amiens, c'est Hubert de Jenlis (UMP), «s'il est candidat». Selon le militant, Hubert de Jenlis est le seul à s'entendre avec tout le monde à droite: «Alain Gest n'est pas copain avec Jardé, qui lui ne s'entend pas avec Brigitte Fouré.»
L'idée de rassembler, c'est aussi ce qui l'a convaincu de soutenir François Fillon pour le congrès. Pourtant rebuté par les «phrases qui ressemblent au FN» chez Jean-François Copé, il admet toutefois que les deux candidats «ont plus ou moins les mêmes idées». En ce qui concerne les motions, il votera pour «La droite sociale», présentée par Laurent Wauquiez.
Chez les jeunes de l'UMP, «il n'y a pas encore eu de débat» à propos des deux candidats. Le militant sait par ailleurs qu'il faut rester prudent: «Si des militants crachent sur un candidat et qu'il gagne, ils vont être coincés.»
Depuis six ans à la fac de médecine d'Amiens, Marc Khalifé va bientôt faire ses valises pour Paris. Dès le mois de novembre, il commencera son internat dans la capitale, «c'est une grande ville et ça fait plus prestigieux sur un CV». Son truc, c'est la chirurgie de la colonne vertébrale. Ça ne s'invente pas, ça se transmet. «Mon oncle fait ça.» Et ses parents tiennent une société de conception, fabrication et vente d'implants et d'instruments pour la chirurgie de la colonne vertébrale. Des parents qui sont «du même bord» que lui. Il ne s'en étonne d'ailleurs pas trop: «On est toujours conditionné par son environnement familial.»
Marc Khalifé, futur chirurgien du rachis.
Politiquement, tout a commencé en 2007 pour Marc Khalifé. «J'étais passionné par la présidentielle mais je n'avais pas 18 ans, je ne pouvais pas voter.» Après suivirent les premières années de médecine. Ce n'est qu'en mars 2012 qu'il a fini par adhérer à l'UMP, sur internet par l'intermédiaire d'une amie. Mais il ne milite toujours pas, par manque de temps.
«Si on milite, c'est pour avoir un poste derrière, pour avoir une carrière politique, lance t-il calmement. Si j'avais plus de temps, peut-être, mais ce n'est pas le cas.» Mais militer, n'est-ce pas aussi pour convaincre un maximum de gens sur des idées ? «Je suis sceptique vis-à-vis de ça. Pour moi, convaincre ça passe par des leaders charismatiques. C'était le cas de Nicolas Sarkozy qui a su créer une sorte “d'adoration” dans le public.»
Pour le congrès, il votera Copé. «Son côté dynamique, rentre-dedans, punchy rappelle Sarkozy. Là, on va choisir la chefferie du parti mais pour les présidentielles Fillon sera plus rassembleur. En fait, ils n'ont pas des idées fondamentalement différentes, c'est deux mecs bien.»
Et concernant le vote sur les motions, quel est son choix ? «Des motions ? Je ne suis pas au courant.»
Je me suis rendu jeudi dernier au local de l'UMP d'Amiens, rue Lamartine. J'avais, la veille, contacté par téléphone Pierre Savreux, le responsable départemental des Jeunes populaires. J'ai pu m'entretenir seul à seul avec chacune des quatre personnes pendant une vingtaine de minutes.