Cela devrait se produire dans le courant du mois de mars. Un escamotage, à écouter les syndicats. Le service de médecine physique et de réadaptation (MPR) d'orthopédie de l'hôpital amiénois Saint-Vincent-de-Paul va fermer. La MPR, c'est ce que l'on peut appeler la «rééducation». Et le service visé par cette fermeture est celui, spécifiquement dédié à la rééducation orthopédique.
Ce sont dix-sept lits, dix sept places d'hospitalisation qui vont bientôt disparaître, définitivement, de l'offre locale.
Au même étage de Saint-Vincent-de-Paul, il y a un autre service de rééducation, mais celui-ci est consacré aux suites de soins neurologiques. Plutôt que d'accueillir les patients ayant subi des opérations majeures sur les membres, celui-là accueille des patients se remettant d'accidents vasculaires cérébraux, par exemple.
Ce service-là reste, il sera même renforcé par une partie des effectifs venant du service de MPR d'orthopédie. Problème, il n'accueillera pas tout le personnel.
Avis négatif des syndicats
C'est bien ce qui avait déplu aux délégués syndicaux de l'hôpital. Comme Grégory Leduc, du syndicat minoritaire, Force ouvrière, ils n'avaient pas hésité à s'opposer à la direction, lors des comité technique d'établissement (CTE) et comité d'hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT), en décembre dernier: «Nous avons rendu un avis négatif. On est allés dans les services, on a rencontré les agents, qui ont exprimé leur inquiétude quant aux changements de service.»
Au delà de l'intérêt des salariés, c'est l'évolution du service qui préoccupe les syndicats. Ils estiment malvenue la disparition des lits de MPR orthopédique. «On sait que le service de neurologie est encombré, pourquoi ne pas garder ces lits de MPR orthopédique pour prendre en charge les patients de neurologie?», se demande Christine Bertin, de la CGT.
Christine Bertin regrette que les lits ne soient pas réattribués à la neurologie.
En vain, la direction n'a pas changé son projet de fermeture de lits. «C'est une décision prise de longue date, se défend Catherine Geindre, directrice du CHU. Le plan régional de santé (PRS) prévoit que l'organisation de la médecine physique et de réadaptation (MPR) d'orthopédie soit effectuée dans des établissements spécialisés, comme le centre hospitalier de Corbie.»
La directrice renvoie la responsabilité de l'opération vers de plus hautes instances. Mais le plan lui semble bénéfique: la rééducation orthopédique sera mieux lotie dans un établissement spécialisé, et l'unité de soins de suite de neurologie du CHU sera renforcée par les effectifs du service fermé. Ils permettront d'améliorer la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux.
Ce n'est pas assez pour Force ouvrière: «Pour nous, la neuro n'est pas assez renforcée», estime Gregory Leduc. «Des pathologies lourdes seront traitées. Les effectifs, notamment ceux des aides-soignants, mériteraient d'être revus à la hausse.»
La rééducation s'éloigne d'Amiens
Cette rationalisation déçoit aussi les syndicats pour d'autres raisons, comme la proximité des soins pour les patients amiénois. «On enterre complètement le côté humain», déplore Christine Bertin, la secrétaire de la CGT. «La rééducation, ce sont des soins longs, qui peuvent durer plusieurs mois. Transférer un service hors d'Amiens, ça pose problème pour les patients, pour les familles qui voudraient leur rendre visite. Nous, on veut défendre un service public de proximité.»
«On pense aux plus précaires, qui vont devoir se déplacer jusqu'à Corbie. Ce n'est pas toujours facile, sans voiture», renchérit-on à FO. Il faudra désormais s'éloigner d'une grosse vingtaine de kilomètres pour bénéficier de soins de rééducation.
Et puisqu'on parle de service public, un autre sujet inquiète les syndicats: pour eux, la fermeture de lits de l'hôpital public c'est, peu ou prou, favoriser les cliniques privées du secteur. Autour d'Amiens, il y en a deux à proposer la rééducation. Côté Villers-Bretonneux, il y a la clinique du Val d'Aquennes. Un établissement privé, du groupe Polyclinique de Picardie.
À Corbie, c'est le centre de rééducation des trois vallées. Un établissement mixte, dont les structures sont partagées entre le centre hospitalier de Corbie (public) et la clinique Victor Pauchet (privée). Respectivement trente et quarante lits destinés à la rééducation.
Public-privé: la confusion des genres
De la disparition des 17 lits amiénois, l'hôpital de Corbie ne profitera pas. Pas en terme de lits, en tout cas. Mais dès le mois de mars, il sera désormais l'établissement public le plus proche d'Amiens pour prendre en charge ces soins de rééducation. Avec cette particularité d'un fonctionnement commun avec un établissement privé.
Au Centre de rééducation des trois vallées, mince frontière public-privé.
Les syndicats alertent sur le mélange des genres: un patient qui n'aurait pas de place dans le public serait-il forcé à se tourner vers le privé?
Marc-Eric Boyer, le directeur du centre hospitalier, est serein. La plupart des patients, lorsqu'ils rédigent leur dossier d'admission, précisent s'ils souhaitent fréquenter la partie hôpital ou la partie clinique. Et leurs choix sont respectés.
«Il faut comprendre que la rééducation, cela ne fonctionne pas comme les urgences. Dans la rééducation fonctionnelle, il n'y a pas de nécessité de soins immédiats après une intervention. Le médecin traitant nous envoie un dossier, et la commission programme les soins appropriés et les conditions de prise en charge.» Cela peut se traduire par des hospitalisations de journée, par des hospitalisations fragmentées, sans nécessité de mobiliser une chambre.
Autrement dit, si le patient a clairement exprimé son choix de fréquenter l'hôpital public, sa prise en charge sera aménagée de telle sorte qu'il ait la place qu'il a souhaité. Mais il peut aussi ne pas se prononcer.
Ainsi, même si les taux de remplissage des deux services, publics et privés, de rééducation de Corbie dépassent les 85%, Marc-Eric Boyer est confiant: «personne ne restera à la porte».
D'ailleurs la fermeture du service de Saint-Vincent-de-Paul ne heurte pas ses convictions. Au contraire, en tant que petit hôpital de la périphérie d'Amiens, Corbie a depuis longtemps pris le virage de la rationalisation et de la spécialisation. Dès les années 90, la maternité et la chirurgie ont disparu. «Ça aurait été suicidaire de tenter de rivaliser avec le CHU», estime le directeur qui n'était pas encore en poste à l'époque. «On a choisi de se tourner vers la rééducation, et on est devenus une référence.»
«Personne ne restera à la porte» rassure Marc-Eric Boyer.
Il n'y a qu'à se promener dans les allées du plateau technique du Centre de rééducation des trois vallées pour s'en rendre compte. Dans une salle dont les baies vitrées donnent sur le parc de l'hôpital, kinésithérapeutes, ergothérapeutes et autres soignant s'activent autour des tables où s'exercent les patients. Plus loin une salle d'activité physique adaptée est surveillée par d'autres kinés ou éducateurs physiques. Enfin, une piscine, un bassin pour travailler à contre-courant, plusieurs machines isocinétiques, destinées au renforcement musculaire...
Les murs au centre hospitalier, le matériel à la clinique, le personnel en partage.
Bref, un investissement conséquent, commun à la clinique Pauchet et au CH de Corbie, tout comme les dix-sept professionnels du Centre des trois vallées sont partagés par la clinique et l'hôpital.
La spécialisation et la rationalisation, Marc-Eric Boyer y croit. «Pour avoir un équipement pareil, pour disposer d'autant de personnel et prendre en compte l'aspect pluridisciplinaire d'une rééducation, il faut avoir atteint une taille critique. Pour un plus petit service, ce ne serait pas possible.»
Le service de Saint-Vincent-de-Paul devenait-il désuet ? «Non, affirme Chantal Allard-Jacquin, la directrice adjointe du CHU d'Amiens. L'offre de soins était tout-à-fait équivalente. Le problème qui s'est posé était celui du niveau d'activité du service de Saint-Vincent-de-Paul.» Autrement dit, trop de frais pour trop peu de patients soignés.
Souvent, pratiques d'hospitalisation varient
Mais la raison de cette rationalisation pourrait être plus profonde. Comme le rappelle le directeur du Centre hospitalier de Corbie, les protocoles des opérations orthopédiques changent: des actes plus mesurés, moins invasifs, ce sont des hospitalisations plus courtes pour les patients. Et des rééducations moins lourdes.
«Autrefois, après une opération de la hanche, il pouvait y avoir une très longue convalescence. Aujourd'hui, avec des opérations moins invasives, il arrive que les patients octogénaires remarchent seuls au bout d'une semaine.»
À Corbie, si le Centre de rééducation des trois vallées a ouvert il y a peu de temps, en 2006, des changements radicaux se sont déjà observés. «Au départ, notre activité était, à 70%, de la rééducation orthopédique. Les 30% restants étaient de la rééducation de neurologie. Aujourd'hui, ce rapport s'est quasiment inversé!»
Davantage d'indications en neurologie mais moins de besoins en orthopédie, voilà qui aura fini de convaincre la direction du CHU que son service ne méritait pas une réouverture sur le monosite. Et d'envoyer les Amiénois prendre le frais à Corbie.
J'ai pu visiter le centre hospitalier de Corbie mardi 5 février, en compagnie de son directeur, Marc-Eric Boyer.
Les propos de Mme Geindre sont rapportés d'un entretien qu'elle a accordé aux journalistes après la présentation des voeux du CHU; dans le courant du mois de janvier.
Mardi 5 février, j'ai pu m'entretenir avec Mme Allard-Jacquin, directrice adjointe du CHU d'Amiens. Au moment où je l'interrogeais, les procédures de reclassement des employés du service de MPR orthopédique de Saint-Vincent de Paul étaient en cours.
Je me suis entretenu avec les délégués syndicaux au cours de ces quinze derniers jours.