Isabelle Demaison, élue du canton de Corbie.
Rien ne sera plus comme avant au conseil général de la Somme. Pour la première fois depuis 2008 et le passage à gauche de l'assemblée départementale, la majorité s'effrite significativement. Quatre conseillers, anciens membres du Parti socialiste (PS) et du groupe «Somme à gauche», viennent de prendre leur liberté.
Isabelle Demaison (canton de Corbie), Pierre Linéatte (Péronne), Michel Boulogne (Roisel) et Dominique Proyart (Domart-en-Ponthieu) ont uni leurs forces afin de former «Gauche solidaire». Un coup dur pour «Somme à gauche», le groupe qui rassemblait jusqu'alors presque toute la gauche (sauf le Front de gauche, qui forme un groupe autonome dans la majorité).
Alors, concrètement, qu'est-ce qui va changer ?
Pas la majorité. De ce côté là, rien ne bouge. Car les quatre élus de «Gauche solidaire» restent dans la majorité de gauche. Mais ils tiennent à faire entendre leur différence sur un certains nombre de sujets. Comment vont-ils s'y prendre ? Avec seulement quatre élus sur une assemblée de 46 membres au total, il est difficile d'imaginer que Gauche solidaire pourra peser. Et pourtant.
Précision: si le groupe centriste gagne un élu entre les deux dates, c'est parce qu'Hubert de Jenlis a quitté l'UMP pour rejoindre l'UDI en fin d'année dernière.
Certes «Gauche solidaire» n'est que la quatrième force politique du Département, derrière «Somme à gauche» (15 élus), le «Centre et indépendants» (14) et «Front de gauche, PCF et apparentés» (5). Mais la majorité de gauche est fragile (26 élus sont dans la majorité ou la soutiennent, 20 s'y opposent).
Et il n'aura pas fallu attendre longtemps pour s'en apercevoir. Dès le lundi 4 février, deux rapports présentés par «Somme à gauche» ont été rejetés en commission permanente. L'un concerne une subvention à la Maison de la culture, l'autre des subventions aux clubs sportifs amateurs de haut niveau. Des rejets qui sont «une première depuis longtemps», concède-t-on au cabinet du président du conseil général.
Pourquoi ces deux rapports ont-ils été rejetés ? Le Télescope s'est procuré le détail des votes des élus, groupe par groupe, sur la question des subventions accordées aux clubs de sport amateur de haut niveau.
Le jour de la commission permanente, trois élus étaient absents et n'avaient pas donné de procuration. Le total des votants est donc de 43 au lieu de 46.
Comme on l'observe ci-dessus, seul «Somme à gauche» a voté en faveur du texte. Les autres forces de gauche se sont abstenues ou on voté «contre». Et la droite a voté contre aussi. La somme inédite de leurs voix a mis en échec la proposition de «Somme à gauche».
«Mais nous ne faisons pas le jeu de la droite, assure Isabelle Demaison (Gauche solidaire). Nous le savons, la droite est à l'affût des divisions de la gauche au conseil général, et là, nous avons été en désaccord sur le vote. Mais on ne veut pas mettre en difficulté la gauche, nous voulons juste retravailler les dossiers et repartir sur de bonnes bases.» Retravailler le dossier des subventions aux associations sportives, par exemple.
«Les subventions aux clubs de football inter-district ont été abaissées l'année dernière. Ça avait provoqué un tollé, et finalement le conseil général avait revu à la hausse ces subventions quelques temps après, relate Isabelle Demaison. Et cette année, on nous refait le même coup: des subventions abaissées pour ces mêmes clubs.» Alors pour éviter de se retrouver dans la même situation que l'an dernier (une subvention baissée, puis des mécontentements, et finalement le rehaussement de la subvention), le groupe «Gauche solidaire» s'est opposé au texte.
«La politique, ça passe par des choses concrètes qui ne sont pas que de la tambouille technique, s'explique Isabelle Demaison. C'est même là que la mise en place des politiques prend tout son sens.» Pour la conseillère générale, «Gauche solidaire» a pour objectif de combler le fossé entre les responsables politiques et la population. «Nous sommes des élus ruraux, on connaît mieux les gens que les élus urbains, on travaille beaucoup avec les maires. Et on observe bien ce décalage entre l'image des politiques et ce qui se passe sur le territoire.»
À travers cette «politique du quotidien», Isabelle Demaison entend «redonner ses lettres de noblesse à la politique». Avec un objectif en toile de fond: contrer la montée de l'extrême droite dans nos campagnes. «J'ai des fils qui sont en âge de voter et plein de leurs connaissances disent qu'ils se sentent proches des idées de Marine Le Pen, ça me blesse. Ce sont des gens qui ont perdu confiance dans le politique.»
Comment est né «Gauche solidaire» ? «On a commencé à en parler à l'approche des travaux budgétaires, explique l'élue du canton de Corbie. On avait des divergences et dans un contexte où l'argent manque, on a vu que l'on pouvait faire autrement et mieux.» Avec une ligne directrice, selon Isabelle Demaison : préserver le pouvoir d'achat des samariens. Donc s'opposer à une éventuelle hausse des impôts ou à l'hypothétique fin de gratuité des transports scolaires.
Clairement, le nouveau groupe de l'assemblée départementale s'ancre à gauche. «Nous sommes tous issus de l'aile gauche du Parti socialiste, relate Isabelle Demaison. J'ai quitté le PS en 2012 et je n'ai pas l'intention d'y retourner, ni d'aller au Front de gauche. Pierre (Linéatte) et Michel (Boulogne) ne sont plus au PS non plus, ils ont même appelé à voter Front de gauche aux dernières législatives et présidentielles.»
«Faire bouger les choses»
Rappelons qu'Isabelle Demaison a tenté d'obtenir l'investiture du PS aux dernières législatives dans la 4e circonscription de la Somme. Mais c'est Catherine Le Tyrant-Quignon qui lui a été préférée lors d'un scrutin interne. «Certains dans le groupe «Somme à gauche» vont tenter de nous marginaliser, de dire que nous partons à cause de rancœurs personnelles. Ce n'est pas le débat, balaye Isabelle Demaison. D'autres disent que je trahis mes électeurs. Mais je ne crois pas faire le contraire de ce que j'ai toujours dit. Je ne trompe pas mes électeurs. Il faut faire bouger les choses, les responsables politiques sont là pour ça, même si c'est difficile.»
Quoiqu'il en soit, les rapport entre «Gauche solidaire» et le Parti socialiste ne sont pas particulièrement bons. Dans un communiqué, le PS de la Somme a déclaré qu'en «quittant le groupe des élus «Somme à Gauche», auquel appartiennent les conseillers généraux socialistes, pour créer ce nouveau groupe, les élus concernés se mettent, naturellement et statutairement, en dehors du Parti Socialiste. […] Ils ne peuvent donc plus revendiquer leur appartenance au Parti Socialiste et s’exprimer en son nom.»
C'est en lisant ce communiqué, il y a quelques jours, que Dominique Proyart a compris qu'il avait été exclu du PS. Il n'a pas trop apprécié. «Je n'avais pas l'intention de partir, explique-t-il. Mais dans ou en dehors du parti, je travaille pour mes administrés. Et j'acquiers une liberté de parole que je n'avais pas forcément avant.»
Pas d'union sacrée avec le Front de gauche
Se dirige-t-on vers une alliance systématique de «Gauche solidaire» avec le groupe «Front de gauche» ? Pas si sûr. Certes, les deux groupes ont écrit ensemble un vœu demandant à l'État de financer à hauteur des besoins les aides sociales gérées par le Département, mais comme le rappelle Claude Jacob (groupe «Front de gauche») : «Il n'y a pas d'union sacrée. Nous avons nos propres orientations. Sur certains sujets nous pouvons avoir des convergences de points de vue avec «Gauche solidaire» et sur d'autres avec «Somme à gauche». Il n'est pas question de casser la maison.»
Pour certains élus, il est temps de clarifier la situation. C'est le cas de Jean-Christophe Loric, conseiller général Modem et soutien de la majorité de gauche. «Le vote en commission permanente a montré qu'il y avait un problème de cohérence dans la majorité. J'appelle à une recomposition claire.» Une recomposition qui ferait entrer le groupe «Avenir en Somme», dont il est l'un des deux membres, dans la majorité.
Nous n'en sommes pas encore là. Aujourd'hui, c'est l'heure du débat d'orientation budgétaire. Il s'agira pour les groupes politiques d'expliquer leurs grands axes pour le budget 2013. Un budget qui ne sera voté qu'au mois de mars. Un temps suffisant pour mettre toute la gauche d'accord ? On le saura bientôt.