Comme tant d'autres sociétés anonymes, La Poste sous-traite. Oui, mais cette entreprise à capitaux publics, qui assure des missions de service public, sous-traite l'un de ses cœurs de métier: la livraison de colis. C'est ce que révélait, en janvier dernier, une enquête en Île-de-France du journal Le Parisien. Dans la région parisienne, 70% des livraisons de colis seraient sous-traitées selon les syndicats, 35 à 40% selon la direction.
À Amiens, la situation est semblable. Jusqu'à sept à huit camionnettes de sous-traitants seraient présentes sur le parking de l'agence d'Amiens-Dury, les jours de pleine activité.
Petit rappel. L'entreprise La Poste est aujourd'hui saucissonnée en quatre secteurs d'activité. Courrier, Colis, Enseigne et Banque. Coliposte, c'est une subdivision de La Poste, qui assure de la livraison de colis aux particuliers sous 48h, pour les «vépécistes» (La redoute, Vente privée, Damart...) et les particuliers. Cette subdivision dispose de ses propres plateformes de tri, comme à Lille, ou de simples Agences Coliposte comme à Dury.
En décembre dernier, Coliposte a passé un appel d'offres de sous-traitance pour la livraisons de plus de 200 000 colis par an, au départ de l'agence d'Amiens Dury. Un contrat qui correspond à l'activité de six camionnettes de livraisons, six jours sur sept, à raison de 110 colis livrés par jour. Ainsi un quart de l'activité Coliposte à Amiens - 24 tournées - sera sous-traitée en 2013.
Pourtant, l'entreprise se défend d'avoir recours à la sous-traitance de façon régulière. «Ce n'est pas systématique», explique-t-on aux relations presse de La Poste. «Cela répond aux besoins, aux flux. C'est adapté à une demande». Et encore plus d'utiliser les sous-traitants pour le remplacement quotidien des facteurs partis en congés? «Pas du tout, ce n'est pas la pratique défendue par La Poste.»
Salaire: un treizième mois de différence
Pourtant, selon Romuald Saint, de la CGT La Poste, la sous-traitance existe depuis la création de l'agence Coliposte de Dury, au début des années 2000, et ne cesse d'augmenter. Au démarrage, deux camionnettes blanches venaient se mêler au ballet matinal des camionnettes jaunes. Aujourd'hui elles seraient régulièrement sept à huit sur le parking de l'agence.
«Depuis deux ans, c'est énorme», témoignaient des salariés, hier matin. «Au début, les sous-traitants n'avaient que la possibilité de livrer des produits écos [une offre de colis sans suivi qui n'est plus disponible au grand public, ndlr], explique Romuald Saint. Et c'était une première à La Poste, la sous-traitance. Et puis, peu à peu, ces prestataires ont pu gérer toute la gamme. Aujourd'hui on compte jusqu'à huit camions de sous-traitants, qui appartiennent à deux entreprises différentes».
Pour Romuald Saint, les prestataires permettent à La Poste de faire des économies: «Ça coûte moins cher à La Poste, car les entreprises sont payées au colis livré et les salariés sont payés au Smic. À La Poste, nous avons des compléments bisannuels, des primes qualité tous les trimestres, en fin d'année, à l'ancienneté... C'est plus d'un treizième mois de différence.»
D'ailleurs, les agences Coliposte ne gèrent que les livraisons de la métropole amiénoise, pas celles de la campagne samarienne. C'est la division Courrier de La Poste qui a gardé la charge de ces livraisons plus coûteuses. Pour la CGT, ce n'est pas un hasard. «Ils ont installé des agences Coliposte où c'était le plus rentable, et ils ont sous-traité», histoire d'être encore plus rentable.
De loin, rien ne distingue les «facteurs-colis» de La Poste, de ceux de l'entreprise Pousset, l'une des deux sociétés sous-traitantes à Amiens. Mêmes uniformes, mêmes couleurs, bleu-marine et jaune. Il faut se rapprocher pour lire sur leur tunique «prestataires de La Poste». «Avant, c'était marqué 'je remplace votre facteur'», explique l'un d'eux.
Entre postiers et prestataires, le métier est presque le même. Le matin, avec leurs camionnettes blanches, les sous-traitants arrivent trois-quart d'heures après les salariés de La Poste, car ils ne participent pas au tri des colis. Mais ils partent ensemble pour assurer les tournées. Les prestataires, eux, finissent leur journée un peu plus tard et livrent chaque jour quinze colis de plus que les salariés de La Poste.
Dans l'organisation du travail, les sous-traitants assurent les remplacements des salariés malades ou en congés, et les renforts en cas de coups de bourre, nous expliquait hier matin un chef d'équipe. «Cela permet aussi de gérer les flux. Il y a beaucoup de pics dans la livraison de colis. À Noël, pendant les promotions sur internet. On se prend beaucoup de 'rafales'».
Dans les faits, des sous-traitants travaillent toute l'année pour l'agence Coliposte d'Amiens Dury. «C'est La Poste qui dispose de nous, et nous envoie ici ou là», explique un jeune livreur embauché en CDI et satisfait d'avoir trouvé un travail stable et motivant. «Depuis que j'ai commencé, je suis accro à ce job. On est comme des Pères Noël toute l'année».
Ces sous-traitants ont permis à Coliposte de ne presque pas renouveler ses effectifs de titulaires. «Décès, retraites, mutations, on a perdu dix personnes depuis le démarrage de l'agence, analyse la CGT. Et il n'y a eu qu'un recrutement de sous-traitant chez Coliposte. Avant il y avait un volant de remplacements parmi les salariés, maintenant ce sont les sous-traitants qui nous remplacent.»
«On préférerait qu'ils soient embauchés par La Poste»
«Les sous-traitants, c'est la variable d'ajustement. Lorsqu'il y a moins d'activité, ils sont moins nombreux. Cela permet de remplir les journées des salariés de La Poste au maximum», analyse Romuald Saint.
Ultra-polyvalents, les livreurs sous-traitants peuvent être appelés sur sept à huit tournées différentes. «Ce n'est pas très utile, un livreur qui ne connaît qu'une tournée», explique l'un des jeunes sous-traitants. Dans le jargon, les sous-traitants font office de «rouleurs» ; ils peuvent remplacer n'importe qui ou presque, sur n'importe quelle tournée. «C'est les bouche-trous. Ils arrivent le matin en pensant faire une tournée, et on leur dit d'en faire une autre à la dernière minute», explique un salarié de La Poste.
Un salarié sous-traitant interrogé indique gagner 1200 euros net par mois, payés au colis livré. «Au moins, on est motivé pour livrer les colis», explique-t-il. «Pour la qualité du service, heureusement qu'ils sont motivés», note un salarié de La Poste, devant son collègue sous-traitant. «Mais on préférerait qu'ils soient embauchés par La Poste, ils auraient de meilleures conditions».
Si l'on en croit le chef d'équipe qui observe un turn-over important chez les salariés sous-traitants, leur métier n'est pas facile à maîtriser. «De nos jours, c'est dur de trouver des gens, motivés qui veulent rester. Et certains n'en sont même pas capables; ils font en douze heures ce que d'autres font en sept. Et on a beaucoup de réclamations», explique le responsable de l'équipe.
Pourtant, certains s'accrochent. «C'est la meilleure voie pour avoir un poste chez Coliposte», assure un sous-traitant. Encore faut-il que Coliposte embauche.
Cette enquête fait suite au travail de Mediapart sur la sous-traitance de la livraison des colis en Île de France. J'ai rencontré Romuald Saint de la CGT Coliposte, la semaine dernière dans le local FATP CGT de Rivery. J'ai rencontré les salariés de Coliposte, ainsi que les salariés des entreprises sous-traitantes, hier matin, sur le parking de Coliposte Dury. Le directeur de l'agence, en vacance, n'a pas pu me répondre directement. Mes contacts auprès du syndicat Sud à Coliposte n'ont pas abouti.