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CGT/Médef: deux visions de la «sécurisation de l'emploi»

Le 21 December 2012
Entretien commentaires
Par Mathieu Robert

Avant hier, le ministre du Travail, Michel Sapin est intervenu dans les colonnes du Monde pour expliquer que «les textes patronaux n'étaient jusqu'ici clairement pas à la hauteur des enjeux», faisant référence aux négociations nationales en cours entre les partenaires sociaux portant sur la «sécurisation de l'emploi».

Première intervention du gouvernement après le lancement des négociations le 4 octobre dernier. Elle présageait la suite des évènements. Le «compromis historique» attendu pour la fin de l'année par François Hollande se fera attendre plus longtemps que prévu. Après l'échec des négociations hier soir, les deux parties se sont données rendez-vous le 10 janvier prochain.

En attendant la reprise des discussions, nous avons interrogé les représentants locaux de deux organisations concernées, Jean-Jacques Blangy, président du Médef Picardie et Christophe Saguez, secrétaire départemental de la CGT sur quelques points clé de la négociation.


Christophe Saguez

Le Télescope: François Hollande appelait de ses vœux à un «compromis historique». L'enjeu est-il si important que cela?

Christophe Saguez: Nous espérons que le gouvernement ne bafouera pas son rôle politique, en reprenant tel quel le texte qui découlera des négociations. Ces négociations sont importantes, la CGT avait salué l'idée que le gouvernement invite les organisations syndicales à négocier. Mais le gouvernement devait fixer des objectifs concrets pour la sécurisation de l'emploi. Au vu des propositions du Medef, on en est loin. Leur idée, c'est de sécuriser les licenciements, augmenter la précarité, au nom de la compétitivité.

Sous les deux Présidents de droite, le Medef a eu plus ou moins tout ce qu'il demandait. Résultat: la précarité et le chômage ont augmenté. Sous ce nouveau gouvernement socialiste, on ne peux pas dire que le patronat soit malheureux. Le Medef veut appliquer les mêmes recettes, et elles mèneront aux mêmes résultats.»

Jean-Jacques Blangy: Ce sont des négociations importantes car nous avons la pression de l'État et nous pensons qu'il pourrait y avoir des progrès sur la sécurisation des parcours et de la flexibilité de l'emploi. Mais la durée des négociations est un peu courte compte tenu de la complexité de certains débats. Par exemple, sur le niveau d'information accordé aux représentants syndicaux ou l'extension de la complémentaire santé.

Le gouvernement a proposé des points de travail. En premier lieu, «la réduction de la précarité». Le gouvernement appelle à ce que «le CDI demeure ou redevienne la forme normale d'embauche», et propose une taxation plus importante des contrats courts, une revendication historique de la CGT.

C.S: Les patrons font eux-même le constat de l'explosion des contrats courts. Et c'est particulièrement vrai dans notre région qui est l'une des plus touchées par le contrat «intérimaires». Parisot dit que ce serait inefficace? Pourquoi le refuser alors? Le Medef est toujours dans l'idée que l'entreprise c'est l'employeur. Nous pensons que l'entreprise, ce sont les salariés. Le CDI permet au salarié de se projeter, de s'impliquer dans son entreprise, de se sentir mieux dans son travail. C'est un gage de sécurité, une question de bien-être.

Le Medef n'en veut pas parce qu'il rêve de casser le CDI, il parle d'ailleurs aujourd'hui de CDI de mission. Nous ne sommes pas défavorables à la mobilité, mais seulement si elle est choisie. Cela passe par de la formation professionnelle et la transférabilité des droits.

JJ.B: C'est un point sur lequel nous serons intransigeants. Nous y sommes opposés car cela repose sur des statistiques erronées. C'est un faux débat. Le recourt à ce type de contrats est surtout courant dans le public et les milieux associatifs. Seulement 30% des contrats courts sont signés dans le privé.

La structure des emplois dans le privé est restée stable. 86% de CDI, 10% de CDD, 2,5% d'intérim et 1,5% d'apprentis. La majorité de ses contrats sont mis en place lors de l'embauche, parce que les employeurs trouvent que la période d'essai du CDI est trop courte. Il faudrait la rallonger. Mais comme la France a signé la convention n°158 de l'OIT (organisation internationale du travail, ndlr) qui encadre les périodes d'essai, il faudrait qu'elle le dénonce. Et c'est du domaine politique.

Le gouvernement souhaiterait aussi que les deux parties travaillent sur «un meilleur partage, en amont des décisions, de l'information avec les institutions représentatives du personnel (IRP)». Plus de poids pour les syndicats dans la vie des entreprises.

C.S: Le Medef pourrait accepter de donner certaines informations sur l'évolution future des entreprises. Mais pour nous, la question n'est pas de donner des informations mais d'avoir le pouvoir de décision.

Aujourd'hui le critère de gestion des entreprises est devenu uniquement financier, c'est le retour à l'investissement. Même certaines PME, qui sont très liées à de grosses entreprises, sont assujetties à cette logique. Nous demandons donc un co-responsabilisation au sein d'un même groupe ou d'une même filière, comme à Albert, avec toutes les petites entreprises autour d'Aerolia. C'est-à-dire la création de comités inter-entreprises où l'on puisse échanger des informations et instaurer une cohérence dans une filière.

JJ.B: Les débats portent aujourd'hui sur une voie délibérative des IRP dans les conseils d'administration, ce qui pose des problèmes dans les grandes entreprises, où les salariés peuvent provenir de pays différents. Mais nous sommes pour, si cela se limite aux grandes entreprises.


Jean-Jacques Blangy

Le gouvernement appelle également à revoir l'encadrement des licenciements collectifs, les PSE (plan de sauvegarde de l'emploi), dont la configuration actuelle «n'évite pas des contournements et génèrent de fortes incertitudes sur les délais et la sécurité juridiques des procédures, dommageables tant pour les salariés que pour les entreprises», selon l'exécutif. Quelles évolutions prônez-vous?

C.S: Nous réclamons un droit suspensif, c'est à dire la possibilité de suspendre toute restructuration dans une entreprise afin d'étudier les propositions alternatives. Nous préférons qu'une entreprise évolue plutôt qu'elle en arrive à des procédures de licenciement.

Nous réclamons aussi une sécurité sociale professionnelle. Le salarié conserverait son contrat de travail jusqu'à l'obtention d'un nouvel emploi. Les droits seraient liés au salarié et plus à l'entreprise.»

JJ.B: Ce que nous voulons, c'est la prévalence du fond sur la forme dans les procédures prud’homales. Aujourd'hui des décisions sont retoquées parce qu'il n'y a pas la virgule ou le point où il faut. Aux prud’hommes, dans 50% des cas, les accords sont retoqués pour des problèmes de forme.

Nous souhaitons également alléger la procédure PSE. Nous voulons faire admettre que les postes qui pourraient être reclassés en interne ne doivent pas être pris en compte dans le PSE. Cela conduit aujourd'hui des PME à entamer des procédures de PSE alors qu'il y a seulement des besoins de reclassement.

Nous voulons aussi raccourcir les délais de prescription après un licenciement, qui sont aujourd'hui à cinq ans. Pourquoi remettre sur le tapis une affaire qui a été classée par l'entreprise? Nous souhaitons aussi un barème de dommages et intérêts, qui sont illimités aujourd'hui. Cela met en péril certaines entreprises. Un barème en fonction du chiffre d'affaires par exemple.

Aujourd'hui, à qui vous semble favorable le rapport de force?

C.S: Aujourd'hui on discute par rapport aux textes du Medef, je ne sais même pas pourquoi. Mais les organisations syndicales ont leur responsabilité. Le jour où elles pourront faire des propositions communes, le rapport de force changera. Il y a des points d'accord sur les constats, mais pas sur les propositions. Notamment quand on voit que la CFDT était prête à négocier sur les accords de compétitivité.»

JJ.B: La tension va crescendo dans ce genre de négociations. C'est une discussion normale, mais dans un contexte dé-sécurisant pour la discussion. Il y a eu des changements récents à la direction de la CGT, un changement de représentant à la CFDT. Pour une discussion à ce niveau, cela a son importance. C'est moins simple que cela n'avait pas l'être entre 2007 et 2011. Les positionnements des personnes étaient plus clairs et bien assis.

De notre coté, nous sommes solidaires, car nous n'avons pas le choix. Nos entreprises vont mal. Et puis nos représentants se connaissent depuis longtemps. Eux, n'ont pas encore eu l'occasion de se frotter l'un à l'autre, d'échanger leurs idées.