Archives du journal 2012-2014

CFTC: jusqu'ici tout va bien

Le 18 January 2013
Enquête commentaires
Par Mathieu Robert

Vendredi dernier, trois syndicats nationaux, la CFDT, CFE-CGC et la CFTC, ont accepté de signer l'accord national sur «la sécurisation de l'emploi» avec les organisations patronales. Et très vite, le gouvernement a annoncé qu'il voulait retranscrire le texte issu des négociations dans un projet de loi. Le Parlement pourrait même être saisi en avril sur la question.

Pourquoi tant d'empressement ? Peut-être pour que cette loi ne croise pas dans l'agenda médiatique la «mesure d'audience» nationale des syndicats, prévue pour cet été. En effet, deux des trois syndicats, qui ont signé «l'accord sur la sécurisation de l'emploi», CFE-CGC et la CFTC, sont sur la sellette. Ils pourraient perdre le droit de s'asseoir à la table des négociations nationales avec le patronat jusqu'en 2017.

Pourquoi ? La loi de Xavier Bertrand du 20 août 2008 redéfinit les critères de représentativité nationale des syndicats. Ils s'appliqueront après la première mesure d'audience, annoncée pour cet été. Dès lors, les syndicats habilités à négocier seront ceux qui recueilleront au moins 8 % des suffrages aux élections professionnelles (CE ou Délégués du personnel).


Philippe Louis (au centre), président de la CFTC - Photos Philippe Grangeaud

La CFE-CGC perdra mathématiquement sa place. Pour la CFTC, c'est moins sûr. L'été 2013 sera décisif dans l'histoire du syndicat chrétien.

«Il y a une usure électorale très significative de la CFTC, la loi de 2008 produit lentement, mais de façon certaine, une désagrégation de la CFTC», expliquait Bernard Vivier, conseiller confédéral à la CFTC à la Nouvelle république, fin 2011. «En 2013, le maintien de sa représentativité n'est pas assuré. [...] Le risque est une CFTC transformée en archipel, avec des îlots qui tiendraient dans des entreprises ou régions, sans représentativité nationale».

Difficultés financières en vue pour la CFTC nationale

La principale conséquence d'une déchéance de la CFTC serait financière. «Si jamais on n'est pas représentatif, cela changerait beaucoup de choses à la fois sur le plan financier» «et sur le plan de l'organisation», reconnaissait Pascale Coton, numéro deux de la CFTC, pour l'Express.

En effet, la structure nationale de la CFTC, la Confédération, est très dépendante des subsides de l'État, comme le notait, en 2006, le rapport Hadas-Lebel sur la représentativité des syndicats: «Alors que certaines confédérations affichent une part de cotisations dans le total de leurs recettes de l’ordre de 75% (CFDT), d’autres avouent un taux de 15% (CFTC)

Et c'est encore vrai aujourd'hui. En 2011, selon les données comptables publiées sur son site internet, les finances de la centrale chrétienne reposent encore très largement sur les subventions. Plus de 10,6 millions d'euros - deux tiers du budget - proviennent des subventions en 2011, contre 1,9 millions d'euros des cotisations.

Si ces subsides, qui selon le rapport Hadas-Lebel sont essentiellement fléchés vers la formation de conseillers prud'hommes ou de responsables syndicaux, viennent à s'arrêter, le financement de l'instance nationale sera mis à mal. La CFTC nationale devra vraisemblablement revoir ses moyens à la baisse.

Pour autant il lui reste des marges de manœuvre. Selon le même rapport, la Confédération nationale ne touchait que 20% du total des subventions collectées par la CFTC dans les entreprises. Le reste est réparti entre les fédérations de branche, les unions régionales et départementales.

Mais les fédérations régionales pourraient être, elles aussi, touchées par la perte de représentativité de la CFTC. Financièrement et politiquement.

L'Union régionale très dépendante des subventions

«Financièrement, la représentativité nationale ne change rien dans les entreprises. Les structures syndicales proches du terrain, que ce soient la fédération départementale ou les fédérations de branche, vivent essentiellement des cotisations», explique Philippe Théveniaud, président de la CFTC Picardie. «C'est la base qui paye vers le haut».

En effet, selon les documents qu'elle publie, l'Union départementale CFTC de la Somme se finance à 61% par les cotisations (40 000 euros) et à 32% par les subventions (21 000 euros).


Philippe Théveniaud, président de la CFTC Picardie

Mais la situation est plus fragile à l'échelle régionale. La CFTC Picardie fonctionne pour plus de 93% grâce aux subventions (83 000 euros).

D'où viennent ces subventions? Pour partie des fonds de formations comme l'Agefos PME, Opcalia ou Fongecif, dont Philippe Théveniaud est président en Picardie, qui rémunèrent les salariés de la CFTC pour des heures de formations. «Nos recettes se montent à 16 000 euros par an», assure le président de la CFTC Picardie. «Elles sont dépensées pour former et informer les élus. Pour une formation de jeunes élus de trois jours, une journée est consacrée à la formation professionnelle».

Ces fonds ne seraient plus reversés à la CFTC Picardie, si le syndicat chrétien n'était plus représentatif au niveau national. Mais Philippe Théveniaud relativise: «L'Union régionale gère beaucoup le positionnement politique sur le territoire et dans les organisations où l'on siège, mais elle a peu de frais de fonctionnement. Si l'Union régionale est touchée, on peut compenser».

Et pour cause, une grosse partie des subventions de la CFTC Picardie n'est pas exposée. 

«Le Ceser, c'est là que nous gagnons le plus»

Son fonctionnement est largement assuré par les indemnités que les membres CFTC du Ceser (Conseil économique, social et environnemental régional) de Picardie reversent chaque année: «Le Ceser, c'est là que nous gagnons le plus. 28 000 euros pour deux membres».

Le Ceser, une structure peu connue qui rend des «avis, des rapports et des contributions» au conseil régional, nous explique son site internet. Ses membres? Des chefs d'entreprises, des syndicalistes, des associatifs. Tous sont nommés par le préfet de région pour six ans. Pour Philippe Théveniaud, le nombre de membres CFTC désignés correspond à son implantation en Picardie, qui n'est, selon lui, pas menacée. «En Picardie, il y a eu peu de dégâts par rapport au national. Le peu de pertes que nous avons subi a été comblé.»

L'une des autres conséquences pour la CFTC Picardie pourrait être politique. Le syndicat chrétien pourrait perdre ses sièges dans les organismes paritaires locaux, comme le Pôle Emploi, la Caisse de sécurité sociale, la Caf, dont Philippe Théveniaud est aujourd'hui président, ou Action logement. Mais cela ne semble pas affecter le président de la CFTC Picardie: «Nous sommes très attachés au paritarisme, mais ces organismes sont bien souvent des chambres d'enregistrement. À part à la Caf, par exemple, les marges de manœuvre sont faibles».

Reste pour les militants de la CFTC à prier pour que leur syndicat dépasse la barre fatidique des 8%. Mais une chose déjà sûre, ils ne s'en remettront pas uniquement aux volontés divines: «Si on perd la représentativité, il y aura contestation, car il y a eu beaucoup d'erreurs commises dans les comptages», promet Philippe Théveniaud.