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Ces élus PS cramponnés à leurs indemnités

Le 09 November 2012
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Par Fabien Dorémus

120 000 euros. C'est la somme qui aurait dû atterrir en 2011 dans les caisses du Parti socialiste (PS) du département mais qui, finalement, est restée dans la poche des élus.

Normalement, chaque élu socialiste doit mensuellement s'acquitter d'une cotisation versée au parti afin d'assurer le fonctionnement de celui-ci. Un barème officiel a même été établi en 2010 pour une application prévue dès le 1er janvier 2011.

Ce barème est progressif: un élu qui perçoit 500 euros d'indemnités doit en verser 7% au parti, un élu qui perçoit 1000 euros doit en verser 10% et ainsi de suite.

Retrouvez-ci dessous le barème complet, validé par les instances du PS.


Dans la Somme, les quarante principaux élus socialistes touchent au total environ 1,5 million d'euros par an d'indemnités, comme l'autorise la loi. Étant élus avec l'étiquette «PS», ils devraient verser environ 180 000 euros par an à leur parti. En théorie seulement. Car en réalité, les élus n'auraient versé au total que 60 000 euros durant l'année 2011. Soit un «manque à gagner» pour le parti d'environ 120 000 euros !

Les militants de base ignorent souvent cette situation. Ou plutôt ignoraient cette situation. Car depuis mercredi soir tous, ou presque, sont au courant. Ils viennent d'être avertis du problème via un courrier électronique qui est arrivé dans leur boîte de réception comme un pavé dans la mare.

Le Télescope s'est procuré ce courriel et a rencontré son auteur : Romain Joron.

«Ne pas stigmatiser les élus»

Romain Joron est adhérent du Parti socialiste depuis 2006. «J'ai eu la chance de participer à de nombreuses campagnes, écrit-il dans son courriel, législatives, municipales, présidentielles, régionales, cantonales en tant que militant, bien sûr, mais aussi mandataire financier de François Hollande pour la Somme et aux cantonales, candidat aux cantonales et suppléant aux législatives.»

Il poursuit : «Durant cette période, membre du bureau fédéral, j'ai participé avec assiduité et conviction aux réunions et aux échanges. Très rapidement, la fédération de la Somme, en conscience, s'est intéressée aux reversements des cotisations d'élus. Il existait, il existe des dysfonctionnements facilement récupérables.»

Le bureau fédéral du PS décide à cette époque de créer une commission de reversement des élus. Quatre militants la composent, dont Romain Joron. C'est à partir de ce travail effectué en commission et des éléments alors rassemblés qu'il a établi le montant total des indemnités non versées au parti pour l'année 2011.

Romain Joron s'est penché sur la situation d'une quarantaine d'élus de la Somme. Les principaux uniquement, pas les maires des petites communes ou les conseillers municipaux.

Il sait donc en détail ce que chacun des élus doit au parti. Cela va de quelques centaines d'euros à plusieurs milliers ! «Certains élus ne sont pas loin du compte, ils ne sont juste pas au courant du montant exact qu'ils doivent donner, mais d'autres n'ont rien versé du tout !» Ce détail, élu par élu, n'apparaît pas dans le courriel envoyé aux adhérents. «Le but n'est pas de stigmatiser les élus, explique Romain Joron. Ils touchent des indemnités, c'est la loi. Mais la question est de savoir à quoi elles servent.»

Ce n'est donc pas vraiment la question du montant des indemnités perçues que pointe le militant, même s'il reconnaît volontiers que le cumul des mandats et des indemnités participe de la désaffection du politique et renforce le sentiment du «tous pourris». Pour Romain Joron, il s'agit avant tout de donner à la fédération les moyens de tourner: «Pour faire campagne, pour faire fonctionner le parti, nous avons besoin d'argent. Si on veut faire venir quelqu'un pour une conférence, la moindre des choses c'est de lui payer le transport et le repas ; quand des militants sillonnent la campagne pour faire de l'affichage, il faut leur rembourser l'essence, etc.»

«Deux ans que je dis qu'il faut régler cette affaire»

C'est aussi et surtout une question d'équité en interne. «On a des militants qui n'ont pas assez d'argent pour adhérer et donc ne peuvent pas voter au congrès et, en même temps, on a des élus qui gagnent beaucoup, ne cotisent pas et on ne leur dit rien. Ça ne va pas.»



Romain Joron, l'auteur du courriel.

Pourquoi Romain Joron n'a-t-il rien dit avant mercredi soir, date d'envoi du courriel ? «Ça fait deux ans que je dis qu'il faut régler cette affaire, j'ai demandé en bureau fédéral l'application du barème mais personne n'a bougé. J'avais dit que je préviendrai les militants.» Autre raison avancée : «C'est la première année sans élection depuis longtemps. On ne pourra pas m'accuser de nous faire perdre un vote

Romain Joron n'agit pas en cavalier seul. Derrière lui, il y a l'action concertée d'un courant du PS: «Un monde d'avance» emmené nationalement par Benoît Hamon et localement par Philippe Casier. Un courant malmené lors du congrès socialiste dans la Somme (voir notre article). Alors, l'envoi de ce courriel, c'est un règlement de compte ? Romain Joron s'en défend: «Mon cycle au sein des instances fédérales vient de se terminer, je fais un bilan d'activité. Je le fais aussi à la demande de nombreux militants qui ne sont pas de mon courant. Je souhaite que ça fasse débat.» Ça devrait faire débat, effectivement.