Le ministre des transports, Frédéric Cuvillier, lors d'une visite informelle à la fête du rail de Longueau, samedi 5 octobre.
C'est une bonne nouvelle pour tous les convaincus du fret ferroviaire. Le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier a annoncé, le 18 septembre dernier, le lancement de deux projets d'autoroutes ferroviaires supplémentaires en France.
La première partirait du port de Calais pour rejoindre l'axe Luxembourg-Perpignan déjà existant, et la seconde s'embrancherait sur la première au niveau de Dourges dans le Pas-de-Calais, pour rejoindre Tarnos, dans la banlieue de Bayonne (64).
Et la bonne nouvelle, c'est que ce deuxième tracé passe forcément par la Picardie, et qu'il a des chances de se matérialiser ici, à Amiens-Longueau.
Ce qu'on appelle une autoroute ferroviaire, un système proche du «ferroutage»: des camions sont embarqués sur des wagons adaptés pour être emmenés sur de longues distances. Sauf qu'ici seuls les remorques des camions sont transportées: les cabines restent à la gare.
Sur ce futur «axe atlantique» du fret, des trains de plus d'un kilomètre de long seront amenés à circuler, portant des dizaines de camions de marchandise. Optimiste, le ministère prévoit que l'ouverture de cet axe atlantique pourrait représenter «85 000 poids-lourds par an, soit 7% du trafic».
L'idée du ministre, telle qu'il l'a rappelée samedi dernier à la fête du rail de Longueau, c'est un développement du fret ferroviaire «en lien avec la stratégie de développement portuaire, d'intermodalité et de compétitivité économique des ports de France». Ainsi le port de Calais, grâce au fret, se retrouverait lié, «à l'horizon 2016» à l'Italie, au Luxembourg et à l'entrée de la péninsule ibérique.
Amiens sur le bord de l'autoroute
Le projet semble bien parti. Avant la fin de l'année, le conseil régional de Picardie et l'État devront s'être entendus sur les investissements à mener pour l'adaptation du réseau local. Aucune nouvelle ligne ne devrait être nécessaire, les enjeux du fonctionnement de cette autoroute se situent plutôt au niveau de la réservation des voies déjà existantes.
Pourtant, même si le Conseil régional semble préférer le passage de l'autoroute par Amiens-Longueau plutôt que par St-Quentin et Compiègne, notre métropole n'en bénéficiera pas forcément.
Un autoroute ferroviaire, c'est un chargement en début de ligne, un déchargement en fin de ligne, et rien entre les deux. En l'état actuel, le projet d'autoroute atlantique ne comprend que deux à trois plate-formes de transbordement: Dourges (62) au nord, Tarnos (64) à l'extrémité sud et un autre pôle de déchargement qui devrait se situer entre Paris et Orléans.
«À court terme, il ne faut pas se faire d'illusions pour Longueau». François Cosserat, président du comité de développement ferroviaire d'Amiens-Longueau et élu métropolitain communiste sait qu'il reste du travail à son comité, s'il veut ramener une activité de fret dans l'Amiénois. «Ce n'est pas négatif, mais ce n'est pas positif immédiatement».
L'élu préfère chercher le développement du fret dans une autre direction. Amiens-Longueau se situe, à proximité de Paris, sur un axe allant du port du Havre jusqu'à Reims. Cet axe, c'est la «rocade nord» qui pourrait faire d'Amiens-Longueau un site pivot dans le transport de fret.
«Notre hypothèse de travail, au comité, c'est que l'accès à l'Île-de-France est de plus en plus difficile, avec l'A1 et l'A3 qui seront de plus en plus saturés. Il faut donc mettre en place un service de massification [l'assemblage de wagons de marchandise, ndlr] à Longueau pour une distribution en Île de France», explique François Cosserat.
Ce projet a-t-il une pertinence économique, face à un transport routier qui bénéficie du salariat des pays de l'est? L'élu en est convaincu: «Tant que le conducteur bulgare sera la référence sociale, il y aura un problème majeur. Mais si on veut faire une Europe sociale qui ne se base pas sur des inégalités, et si on considère le coût du transport routier en fonction du CO2 et des accidents, je ne suis pas certain qu'il y ait un déséquilibre économique dans ce projet.»
Reste que, pour développer cette rocade nord, il faudra d'abord investir dans l'adaptation du réseau. Une partie du trajet n'est pas encore électrifié. En attendant les opérateurs du fret, public et privés, font encore rouler des locomotives diesel, mais le manque de caténaires reste limitant.
Témoin privilégié de la décadence du fret ferroviaire français, Didier Le Reste était, tout comme le ministre Cuvillier, l'invité de la fête du rail de Longueau. Cet ancien cheminot était, jusqu'en 2010, secrétaire général de la CGT pour le rail. Son constat, c'est la «casse du fret».
Casse du fret
«En 10 ans, le fret est passé de 20 à 10% de la part du transport. C'est une casse organisée, un grand gâchis social en environnemental. Dans le même temps, on se rend compte que 60% des filiales que la SNCF a racheté sont à vocation routière, comme les transports Giraud rachetés en 2010.»
Les autres chiffres de la restructuration du fret SNCF ne sont pas plus glorieux. Depuis la dernière décennie, plusieurs centaines de gares de fret ont été fermées, et des entreprises qui souscrivaient à ces services ont été remerciées.
De gauche à droite: le ministre des transports discute fret et trafic de voyageurs avec Didier Le Reste et François Cosserat.
Didier Le Reste juge positive la stratégie ferroviaire-portuaire affichée par le ministre. Il ne questionne pas l'intérêt des autoroutes ferroviaires, mais remet les chiffres en perspectives. «Bettembourg-Le Boulou [la ligne de fret Luxembourg-Perpignan lancée en 2007, ndlr], ce sont quatre allers et retours quotidiens, au lieu de 10 comme prévus. Cela représente 600 camions. Mais Au Perthus (66), ce sont 18000 camions par jour!» Pour l'ancien cheminot, la situation est grave et nécessite une offre plus complète que les deux axes en projet. «Les autoroutes ferroviaires sont une solution de report modal, mais il faut une autre politique pour les marchandises, il faut refaire du triage.»
Du triage, soit des pôles locaux de chargement, de massification pour créer de l'activité locale et répondre, au mieux, aux besoins des entreprises. Le comité de développement d'Amiens-Longueau ne demande pas mieux.
Les interlocuteurs ont été rencontrés lors de la fête du rail, samedi 5 octobre à Longueau. Certains ont été interviewés ce lundi.