Au début c'est un bruit, une rumeur. Des constats de voyageurs anonymes, des «on-dit». La rumeur voudrait qu'il y ait très peu de contrôles de tickets de bus à Amiens nord. Voire plus du tout.
Pour en savoir plus, il faut discuter avec un employé d'Amétis. Pour certains témoins, comme le contrôleur et ancien délégué CGT Toufik Halaïmia, c'est une évidence: il n'y a plus aucun contrôle à Amiens nord depuis plusieurs mois. Et l'initiative ne vient pas des contrôleurs eux-mêmes, car ceux-ci n'ont aucun avis à donner sur l'organisation de leurs contrôles. C'est leur hiérarchie, la direction de l'exploitation, qui se charge d'établir les plannings des différentes équipes de ces «vérificateurs de perception».
Pour les contrôleurs interrogés, la raison de cette absence des quartiers nord est simple: «Kéolis veut à tout prix éviter les agressions de personnels qui mènent aux droits de retrait et au blocage du réseau». Toufik Halaïmia en sait quelque chose, l'ex-délégué de la CGT a mené, lorsque son syndicat était encore majoritaire, de nombreuses actions de droit de retrait des chauffeurs. Des actions qui faisaient suite à des agressions ayant mis en lumière des dysfonctionnements du système d'alerte et de géolocalisation. Ces exercices du droit de retrait avaient mené, en novembre 2012 par exemple, à un blocage massif du réseau et à un conflit musclé entre son syndicat et Kéolis.
Le contrôleur va plus loin: selon lui, ses collègues auraient désormais pour consigne, à leur montée dans un bus à contrôler, de s'écarter pour laisser sortir du véhicules les voyageurs qui le souhaitent. Et, par la même occasion, les contrevenants qui se montreraient hostiles.
«Cela n'empêche pas les contrôles de s'effectuer ailleurs»
Mais cette thèse en laisse d'autres perplexes. Thierry Bonté, par exemple, l'élu métropolitain en charge des transports et candidat socialiste aux municipales: «La surveillance du réseau s'est renforcée dans le cadre de la convention». L'élu fait référence à des accords renouvelés entre Kéolis et les polices municipale et nationale, qui s'articulent autour d'une alerte immédiate de la police en cas d'incident, et de l'organisation de projets de prévention en partenariat avec les services de police municipale et de prévention situationnelle d'Amiens métropole. (voir ici et là).
Thierry Bonté précise par ailleurs que le service transport de la Métropole ne fournit aucune consigne directe à son délégataire sur la façon dont doivent être tenus les contrôles. Mais le contrat qui les lie définit des objectifs chiffrés à améliorer. «Les contrôles de titres de transports relèvent de la délégation de Kéolis, nous n'intervenons pas là-dessus, mais l'entreprise nous fournit des relevés d'activité et les contrôles n'ont pas cessé depuis l'instauration de la ZSP.» Par ailleurs, l'élu rappelle que Kéolis est parvenu à baisser la fraude dans les bus. Actuellement au-dessus de 2%, le taux de fraude amiénois est un peu inférieur à la moyenne nationale de 2,5%.
Que pense-t-on de la question chez Kéolis, qui gère le réseau Amétis? «C'est une bêtise!», s'exclame Franck Duval, directeur d'exploitation du réseau. Celui dont le service crée les plannings de contrôle nie en bloc l'idée que le quartier nord serait épargné. L'idée lui paraît même saugrenue: «De toute façon, un habitant du quartier qui prend le bus ne reste généralement pas dans le quartier. Il l'emprunte pour le quitter, donc cela n'empêche pas les contrôles de s'effectuer ailleurs».
48 euros la fraude contre 3000 euros la vitre
Le contrôleur ex-délégué CGT ne dit pas autre chose. Il rapporte même une anecdote: «La dernière fois nous contrôlions à Saint-Pierre, le contrevenant ne voulait pas descendre du bus, donc nous avons fini le contrôle à Amiens nord. Il y a eu quelques embrouilles aux arrêts avec des jeunes énervés. Arrivé au pôle d'échange, le bus a fini par se faire caillasser.» Le lendemain, sa hiérarchie lui aurait rappelé que la vitre brisée coûterait 3000 euros, alors que le PV ne rapporterait, si jamais il était honoré, que 48 euros. «Le plus loin que nous allions, c'est le centre commercial Carrefour ou l'arrêt Eloi-Morel», estime-t-il.
La direction donne-t-elle des consignes précises à ses «vérificateurs de perception» pour éviter les conflits? Franck Duval admet que l'entreprise prend ses précautions dans un quartier comme Amiens nord. «Bien entendu, quand on retourne dans un quartier qui a connu des événements comme ceux de l'été 2012, on n'y retourne pas dans les mêmes conditions.» Il poursuit: «On n'y retourne peut-être pas en si grand nombre».
Par ailleurs, le directeur d'exploitation rappelle que des médiateurs employés par la collectivité, des agents de Kéolis ou des policiers municipaux interviennent, prennent le bus ou font de la prévention aux arrêts qui le requièrent. Une présence qui apaise et dissuade.
«Je n'ai pas envie que les salariés prennent des coups»
Quel protocole les agents doivent-ils suivre lors de leurs contrôles? Franck Duval reste prudent sur la question. Doivent-ils arrêter le bus le temps de leur contrôle, contrôler en roulant, contrôler tous les voyageurs à la descente? «On change les techniques en fonction des lieux, des arrêts, du nombre de contrôleurs présents. On ne contrôle pas de la même façon à 6 ou 10 contrôleurs, ou si un bus est rempli ou pas.»
«Si on peut éviter les conflits, évidemment qu'on va les éviter. Je n'ai pas envie que les salariés prennent des coups ou subissent des violences psychologiques», explique encore Franck Duval. Mais il ne rapporte pas de protocole particulier pour éviter les violences. Il tient tout de même à préciser que l'ambiance est meilleure sur les lignes. Les «dysfonctionnements d'ambiance» constitués, par exemple, de violences verbales qui sont rapportées par les employés d'Amétis ont baissés de 40% sur les huit premiers mois de 2013, par rapport à la même période, janvier à août, en 2012.
L'ambiance «dysfonctionne» moins, la fréquentation s'améliore. Et, surtout, les usagers du quartier nord ne subissent plus d'immobilisation et de déviation comme celles du passé. Les contrôles sur le réseau sont plus intenses, aussi, et la fraude recule. Si tout le monde y trouve son compte mis à part quelques contrôleurs pointilleux, pourquoi s'inquiéter qu'il n'y ait plus de contrôles avenue de la paix?
J'ai tenté de joindre M. Kaddouri, délégué du syndicat majoritaire FO et M. Thierry Jaspart, délégué CGT, mais sans succès.