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Aerolia: «On ne pense pas au lendemain»

Le 21 February 2013
Enquête commentaires
Par Mathieu Robert A lire aussi


Devant le site d'Aerolia à Méaulte (80).

Cette semaine, les délégués syndicaux picards d'Aerolia étaient à Toulouse pour un comité central d'entreprise. Mais contrairement à leurs homologues de chez Goodyear, ils ont fait le déplacement pour entendre de bonnes nouvelles.

«On nous a présenté le plan de gestion prévisionnelle des emplois», explique Alexandre Boury, délégué CFDT chez Aerolia. «Les dirigeants nous ont annoncé 58 embauches supplémentaires à Méaulte sur l'année 2013. Des cols blanc et des cols bleus». De bonnes nouvelles pour cette usine de 1420 salariés, dans un contexte bien gris pour les autres industries picardes.

«On doit gérer des problèmes de riches»

Malgré tout le syndicaliste reste sur sa fin. «Nous voudrions atteindre 1500 CDI en 2013. Là on y sera pas. C'est moins d'embauches qu'en 2012 et 2011, alors que les cadences continuent d' augmenter.»

«On doit gérer des problèmes de riches liés à la suractivité», ose Dany Deveaux représentant FO. Depuis deux ans, le site de Méaulte embauche 100 salariés supplémentaires chaque année. Les revendications des syndicats peuvent se résumer à augmenter le rythme des embauches. «On demande plus d'apprentis. On veut aussi diminuer le nombre d'intérimaires. Nous ne sommes pas contre les intérimaires, mais seulement s'il y a un vrai flux d'embauches derrière.» Les syndicats se permettent même de défendre leurs collègues sous-traitants. «On défend l'emploi chez les usines sous-traitants. L'an dernier c'était l'entreprise QSA, cette année c'est Simra.» En quatre ans, le groupe a recruté 880 personnes sur toute la France. Le dernier chômage technique remonte à 1992-93.

Les problèmes de riche, dont parle FO, c'est la surcharge de travail. «L'ambiance est bonne parce qu'il y a du boulot, de l'activité, mais ça devient tendu avec les cadences», explique la CFDT. «Notamment avant les vacances, les gens fatiguent. Sur une année, les heures supplémentaires représentent 80 temps-plein.» Un chiffre que ne confirme pas la direction. Ce que veulent la CFDT et FO, c'est «faire respirer l'outil industriel, sinon la fatigue s'installe»

Organisation du travail ? 2x8 et un peu de 3x8

Les cadences sont élevées, mais l'organisation du travail reste relativement saine pour les salariés. On est loin de l'organisation en 4x8 acceptée chez Dunlop Amiens et refusée chez Goodyear Amiens. Ce système où tous les salariés travaillent de weekend, dans des horaires qui changent incessement.

Chez Aerolia, en production, la grande majorité des salariés est aux 2x8. «Un coup du matin, un coup d'après-midi». Certains salariés, de plus en plus, sont aux 3x8 ou 3x8 vendredi-samedi-dimanche. Mais les salariés font souvent du rab. «En 2012, à part le 1er mai, nous avons travaillé tous les jours fériés», explique-t-on à la CFDT. Le salaire de base est à 1600 euros brut, réévalué ces deux dernières années entre 2,8 et 3,2%, selon les syndicats. Sans oublier que pour les salariés postés en 2x8, c'est +25% sur la fiche de paie, et +40% pour ceux en 3x8.

A l'intérieur de l'usine, peu de bruit. De la musique sur les chaînes de montage. Ça ressemblerait presque à une usine modèle. D'ailleurs, lorsqu'Aerolia a construit un nouveau bâtiment pour les matériaux composites en 2009-2010, la direction a fait réaliser une maquette du projet en Légo. Une réplique du site fabriquée en jouets pour enfants, conçue à l'identique (ou presque), pour que les ouvriers puissent faire des propositions pour améliorer la conception de leur postes de travail. «Au début, j'ai cru que c'était une blague», se souvient Alexandre Boury de la CFDT. «Mais comme c'était à l'échelle, les gars ont pu dire ce qui n'allait pas, dire qu'ici ou là, ça ne passerait pas.» D'ailleurs, chez Aerolia, les syndicats contactés et la direction ne parlent pas d'ouvriers, mais de «compagnons».


Les chiffres sont au rendez-vous. Fin 2012, le groupe a dépassé le milliard d'euros de chiffre d'affaire. C'était l'objectif de la direction depuis la création du groupe en janvier 2009. «On est en position favorable pour aller négocier. Tous les ans, le directeur vient nous voir pour nous féliciter, nous dire que les chiffres sont bons», raconte Alexandre Boury de la CFDT. «Alors il y a des attentes des salariés.»

«L'aéronautique ancré pour des dizaines d'années dans la région»

Contrairement à Titan incapable de s'engager plus de deux ans sur le site Goodyear d'Amiens nord, Aerolia affirme vouloir rester en Picardie encore longtemps. «L'aéronautique est ancré pour des dizaines d'années dans la région», veut assurer le directeur de communication du groupe, Philippe Le Grégam. Le groupe a des commandes pour les sept ans et demi à venir. «On a vu par le passé des annulations de commandes», nuance la CFDT, mais «on ne pense pas au lendemain, quand on vient travailler.» D'autant que le groupe envisage de tripler son chiffre d'affaires d'ici 2020. «C'est un marché de conquête, explique Philippe Le Grégam. Le monde entier n'est pas encore monté dans un avion.»

Pour atteindre ces objectifs, le groupe ne lésine pas sur les investissements. Y compris en Picardie. «Depuis 2009, nous n'avons pas cessé d'investir», assure le «dir com». «350 millions ont été investis pour le lancement de l'A350.» Le challenge: être capable de produire des parties avant d'avion, en matériau composite. Principal investissement, «une machine à draper les barques, un appareil mobile capable de dérouler 36 mèches de carbone.» Coût annoncé: 300 millions d'euros, sans réorganisation du travail en 4x8 en échange, comme ce fut le cas chez Dunlop.


La machine à draper d'un coût de 300 millions d'euros

Mais contrairement au groupe Goodyear, Aerolia ex-Airbus fait beaucoup appel aux collectivités, notamment la Région pour le soutenir dans son développement. «L'aéronautique en Picardie, c'est un gros travail avec les collectivités», comme le dit Philippe Le Grégam. Pour le bâtiment destiné aux matériaux composites, une participation symbolique de 293 000 euros a été accordée par la Région. Elle avait précédemment déboursé 12 millions d'euros pour la construction d'une piste aéronautique et 20 millions dans un centre de recherche destiné aux matériaux composites, le C2TR, aujourd'hui renommé IndustriLab.

Développement au Canada, délocalisation en Tunisie

Des efforts qui paient, puisque depuis sa création en 2009, le groupe s'était mis en quête de convaincre le groupe canadien Bombardier de travailler avec la filiale d'EADS. C'est chose faite. Depuis un an et demi, Aerolia réalise les parties avant des Global 7000-8000, des corporates jets, des avions de luxe. Dans un premier temps, les éléments fabriqués à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) seront assemblés à Méaulte. Mais à terme, une usine va sortir de terre au Québec tout proche de l'usine Bombardier. Syndicats et direction semblent se réjouir de concert sur ce nouveau marché développé au Canada. Ils ne sont pas sur le même longueur d'onde quand on évoque la Tunisie.


Site de Méaulte

A la création d'Aerolia en 2009, le groupe EADS souhaitait baisser les coûts de production des avions Airbus. Parallèlement en négociations avec la compagnie aérienne Tunisair, propriété de l'État tunisien pour de futures commandes, il est finalement décidé de construire une usine Aérolia au nord de la Tunisie, à Mghira afin d'y construire des éléments, qui sont ensuite assemblés en France.

Contrairement à l'usine en construction au Canada, les syndicats étaient inquiets. «On a une approche critique vis à vis de la stratégie de construire l'usine tunisienne parce que c'est une zone low cost», explique Alexandre Boury de la CFDT «On nous a trop dit par la suite, "si vous ne voulez pas faire ça, on le fera faire en Tunisie".»

«On a toujours été contre ce projet», embraye Dany Deveaux (FO). «C'était une opération financière avec un vrai risque industriel. Aujourd'hui ils transfèrent beaucoup trop d'éléments pour atteindre l'objectif de 1500 salariés sur place.» Pour les syndicats, le risque de délocalisation, comme chez Goodyear, n'est jamais à écarter, toujours présent dans les esprits.

«Si on fait un seul point de cadence [une livraison de pointe d'avion, ndlr] en moins, c'est le début de la fin», affirme-t-on chez FO. «Même si nous avons sept ans de commandes, même s'il y a du dialogue social, avec la mondialisation et l'aspect financier qui passe avant la logique industrielle, il peut y avoir des délocalisations». Les syndicats ne s'en font pas pour les prochaines années, mais pour le long terme. «On a des retours de salariés envoyés en Tunisie, il y a de vrais soucis de qualité. Ils vont s'améliorer mais il leur faudra du temps pour faire les pointes et les tronçons comme à Méaulte».

«La Tunisie c'est du développement à l'international comme le Québec», martelle le directeur de communication d'Aeolia. «Les nouveaux clients regardent la technologie, mais aussi le prix. L'entreprise Aerotech en Allemagne, qui fabrique l'arrière des avions pour Airbus, a une usine basée en Roumanie. C'est grâce à ça que nous avons de nouveaux investissements en France.»

Depuis décembre dernier, le conseil d'administration d'EADS est devenu indépendant des gouvernements français et allemand, qui n'ont plus de droit de veto et sont devenus de simples actionnaires à hauteur de 12% chacun. À terme, 70% du capital sera flottant suite au retrait de Lagardère du groupe EADS. «Cet accord vise à normaliser et simplifier la gouvernance d’EADS», expliquait le groupe dans un communiqué.

Espérons qu'EADS ne devienne pas aussi normal que Goodyear.