Se faire dépister du virus du Sida? C'est possible dans les Centres de dépistages anonymes et gratuits (CDAG), les services de prévention santé, les centres gérés par des associations...
En France, le territoire est maillé par des organismes qui proposent des dépistages discrets du VIH ou des infections sexuellement transmissibles (IST). Mais dans la Somme, la disponibilité de ce service de santé publique est très variable.
Le CDAG d'Abbeville, par exemple, reçoit des patients deux jours par semaines. Sans rendez-vous.
À Amiens, en revanche, il faut prendre rendez-vous. Et les délais pour prendre rendez-vous sont, le plus souvent, supérieurs à une semaine, parfois ils atteignent deux semaines.
Dans des départements voisins, la situation est pourtant meilleure. Au CDAG de Lille, on propose un rendez-vous à une semaine. En sachant que de nombreux autres centres peuvent pratiquer des dépistages anonymes et gratuits dans la métropole lilloise ou dans le département: 27 autres sites similaires existent ainsi dans le Nord.
En Normandie, à Rouen, il ne faut que trois jours pour obtenir un rendez-vous. Et à Laon, dans l'Aisne, on reçoit sans rendez-vous.
Dépister toujours plus tôt
Pas de doute, deux semaines de délai pour un rendez-vous dans un CDAG, c'est long. Trop long. Frédéric Lancel, animateur de l'antenne amiénoise de l'association de lutte contre le VIH Aides, se souvient même de délais supérieurs à deux semaines, lors d'un congé maternité non remplacé. «Cela va à l'encontre de ce qu'on doit faire. Normalement, on est dans une politique où l'on doit pouvoir bénéficier du dépistage le plus précoce possible», explique-t-il. Mais cela, c'est sur le papier.
«On a un dépistage trop tardif en France. On sait qu'il y a un intérêt thérapeutique à dépister plus tôt», insiste Laurent Geffroy, conseiller-expert auprès du Conseil national du Sida (CNS). Cet organisme indépendant, directement rattaché au ministère de la Santé, publie des rapports et des avis sur les politiques à suivre en terme de soin, de dépistage ou de prévention du VIH. «On a maintenant des traitements efficaces avec des effets secondaires assez limités, il faut en profiter.»
Laurent Geffroy évoque un chiffre effrayant: dans notre pays, la moitié des dépistés le sont à un stade avancé de l'infection au VIH, lorsque la maladie du Sida montre ses symptômes, à un moment où ils devraient déjà bénéficier de soins.
Du coup, les politiques de prévention ont nettement été réorientées vers le dépistage. Pour qu'il soit accessible à tous les publics, par tous les moyens. «Dans notre avis de 2012, nous avons pointé des amplitudes d'ouvertures insuffisantes dans les CDAG», rappelle le conseiller du CNS.
«Il y a un vrai intérêt au dépistage précoce, dans la lutte contre la propagation du virus.» D'une part, les porteurs du virus qui ne s'ignorent plus prendront certainement moins de risques dans leurs rapports sexuels et, une fois sous traitement, ils seront beaucoup moins contagieux.
Par ailleurs, il existerait en France 30 000 personnes porteuses du VIH qui s'ignorent. Un dépistage par examen sanguin coûte une vingtaine d'euros à la collectivité. C'est beaucoup moins qu'une contamination supplémentaire, par ignorance de son propre statut sérologique. «Un traitement d'anti-rétroviraux pour le Sida, c'est en moyenne 500 euros par mois», précise le référent de l'association Aides.
Chez Aides, Frédéric Lancel peut réaliser des tests rapides et immédiats, sans diplôme médical. Mais, selon lui, «le suivi médical reste primordial.» Un suivi qui se fait parfaitement au CDAG.
Alors, que se passe-t-il à Amiens? Pourquoi des délais si longs?
Dans la capitale picarde, le CDAG est situé au 16 rue Fernel, dans le quartier Saint-Leu. Il est géré par le CHU d'Amiens, tout comme le CDAG d'Abbeville. Il regroupe d'autres services de santé publique: centre de lutte contre la tuberculose, centre de vaccination, centre de conseil aux voyageurs.
Le professeur Jean-Luc Schmit est responsable du service. Il reconnaît que les délais des rendez-vous peuvent être un problème vis-à-vis de la politique actuelle de prévention. Pourtant, il réfute que le centre soit en sous-effectif médical.
Pour ce professeur spécialiste en maladies infectieuses, c'est dû au mode de fonctionnement de son service, qui voit passer près de 2000 patients tous les ans. «Quand le CHU a repris la responsabilité du service, on a préféré garder l'organisation existante. On prend le temps de recevoir les gens, de les dépister pour d'autres affections qui peuvent rester invisibles.»
L'exemple du professeur, c'est la recherche des chlamydia (bactéries sexuellement transmissibles), de la Syphilis, des gonocoques ou encore la possibilité pour les patients d'aller se faire vacciner contre les hépatites B et A, après avoir vérifié qu'ils n'en sont pas atteints.
Selon lui, ce genre d'analyses et de fonctionnement est en partie responsable du décalage. «Grâce à ce centre, on dépiste beaucoup d'IST [infection sexuellement transmissibles, ndlr] non-VIH, qui ne sont pas forcément recherchées ailleurs. Cela s'inscrit dans une démarche cohérente de santé publique.»
Pourtant, Jean-Luc Schmit est conscient que la situation pose problème. Au moment où certaines associations, comme Aides, peuvent proposer des tests dont les résultats sont connus en quelques minutes (les TROD, avec les problèmes de fiabilité qu'ils présentent par rapport aux tests sanguins, voir notre article), des examens qui s'étalent sur plusieurs semaines sont-ils encore pertinents?
«Nous sommes en train de réfléchir à la façon de faire évoluer le service. Aujourd'hui, le problème est que l'on n'a jamais su sortir de cette logique de rendez-vous, alors que la politique de dépistage est dans une période de grande mutation pour améliorer son accès.» Le problème est, en partie, d'origine médicale.
Les textes qui régissent les centres de dépistages exigent la présence d'un médecin au premier ou au second entretien, avant la prise de sang et après les résultats. «Bien entendu, l'entretien est important car il permet d'aborder les différents risques avec le patient. Mais aujourd'hui, la présence du médecin pour chaque examen ou chaque entretien, c'est excessif. Il faut réfléchir à la façon de démédicaliser les procédures.»
Une solution serait de demander plus de postes de médecins sur le CDAG, mais le professeur n'y pense même pas. «La tendance n'est pas vraiment à la création de postes, en ce moment, au CHU d'Amiens...»
Démédicaliser et réorganiser
«Il faut s'interroger pour réorganiser les services, redistribuer les rôles en matière de prévention. Laisser aux infirmières le soin de vacciner, sous la responsabilité des médecins.»
Selon le professeur, plusieurs réflexions sont en cours au ministère pour fusionner les centres avec les plannings familiaux. De la même façon que le Conseil national du sida (CNS) a récemment rendu un avis pour le rapprochement des CDAG et des Centres d'information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles (CIDDIST). Un fonctionnement qui est déjà, en quelque sorte, effectif à Amiens depuis longtemps.
«On s'attend à ce que les choses avancent avant la fin de l'année.» L'autre piste, pour le professeur, sera bien entendu de développer l'usage des tests rapides à orientation diagnostique (TROD). De les présenter comme une des solutions pour ceux qui veulent connaître leur statut sérologique.
Frédéric Lancel, de Aides, partage ce constat. «Aujourd'hui, on peut demander un test de dépistage à son médecin. Ou alors, on choisira un CDAG parce qu'on n'a pas les moyens d'aller voir le médecin, ou parce que c'est anonyme. On pourra aussi aller directement dans un laboratoire pour la proximité géographique. Ou alors on pourra aller au planning familial parce qu'on est une jeune fille, ou on utilisera un TROD parce qu'on a des difficulté d'accès au soin.»
Dans le sillon des recommandations du CNS, l'association milite pour la banalisation de l'acte de dépistage. «Il faudrait que chaque personne puisse faire un dépistage de la façon la plus anodine possible, comme une femme va faire un test de grossesse. Mais cela présuppose d'assurer un suivi médical après le test réalisé.»
Les CDAG des départements voisins ont été testés dans la journée du lundi 22 avril. Ce même jour, j'ai pu m'entretenir avec le Professeur Jean-Luc Schmit. En fin de semaine précédente, j'avais interrogé Frédéric Lancel et Laurent Geffroy.