Plus d'un an après le début de l'enquête publique, le suspense n'en finit plus. Personne ne sait sous quelle forme et quand le projet des 1000 vaches pourrait bien voir le jour.
En coulisses, les négociations sont âpres. Ni le porteur du projet, Michel Welter, ni le sous-préfet d'Abbeville, Philippe Dieudonné, ni les services de la DGPR, la Direction générale de la prévention des risques, affiliée au ministère de l'Écologie, ne peuvent aujourd'hui prédire l'issue de ce dossier brûlant.
Le 6 novembre dernier, représentants de l'État et porteurs de projet se sont rencontrés autour d'une même table. Un nouveau round de négociation durant lequel des recommandations nouvelles du ministère de l'Écologie ont été présentées.
Selon une source proche du dossier, le Ministère aurait proposé trois scénarios pour que le «projet des 1000 vaches» puisse voir le jour:
- un atelier de 1000 vaches laitières sans unité de méthanisation.
- une unité de méthanisation sans atelier de vaches laitières.
- un atelier de 500 vaches laitières avec unité de méthanisation.
Le Ministère souhaiterait que le «projet des 1000 vaches» se conforme à l'un de ces scénarios. Et le préfet de la Somme, Jean-François Cordet, serait prié de trouver un accord en ce sens, avant de signer l'arrêté préfectoral sans lequel la «ferme des 1000 vaches» ne peut voir le jour.
Les deux premiers scénarios ont vraisemblablement été écartés, mais ils éclairent la position actuelle du gouvernement sur l'avenir de la filière laitière. En proposant à Michel Ramery de construire une ferme de 1000 vaches laitières simplement amputée de son unité de méthanisation, le ministère de l'Écologie suggère qu'il n'est pas opposé sur le fond au développement d'une exploitation laitière industrielle de très grande taille en France.
Si aucune loi ne limite aujourd'hui la taille d'un troupeau laitier en France, l'apparition d'un tel projet marquerait une réelle rupture dans le paysage de l'élevage laitier. Certes, le nombre d'exploitations de plus de 80 vaches explose en Picardie ces dernières années (+120% entre 2000 et 2010). Mais la taille moyenne du troupeau d'une exploitation laitière était encore de 57 vaches en 2010. De 50 à 1000, il y a un monde.
Du côté des opposants au projet, comme la députée EELV, Barbara Pompili, aucun des scénarios proposés par le Ministère ne convient: «500 ou 1000 vaches, je suis pour que cela ne se fasse pas. Nous préférons de petites exploitations où les vaches ont accès au pâturage».
Une opposition sur la forme
Que faut-il retirer des trois propositions faites par le ministère de l'Écologie? Une source proche du dossier explique que le ministère de Delphine Batho souhaite que «les surfaces épandables soient en adéquation avec la taille du projet».
En effet, légalement, les agriculteurs doivent justifier d'une surface de terres agricoles destinée à recevoir les déjections des animaux (sous forme de lisier, fumier, compost ou digestat de méthaniseur). Cette surface doit être proportionnelle à la taille du troupeau.
Mais le «projet des 1000 vaches», tel que présenté lors de l'enquête publique, consiste à rassembler progressivement, sur cinq ans, les troupeaux d'agriculteurs de la région qui souhaitent arrêter l'élevage laitier. 200 vaches la première année, 300 la deuxième. Puis 500, 750 et 1000 la dernière année.
L'ampleur du projet empêche Michel Welter, le porteur de projet, de fournir, dès l'entame du chantier, un plan d'épandage pour 1000 vaches laitières. Il s'en expliquait dans le dossier d'enquête publique.
Un des obstacles mis en avant était le suivant: les fermes qui confieront leur troupeau à Michel Ramery, dans plusieurs années, ne souhaitent pas entrer, dès aujourd'hui, dans le plan d'épandage de la «ferme des 1000 vaches».
Bref, le plan d'épandage présenté pendant l'enquête publique par Michel Welter devait être amené à évoluer avec l'augmentation progressive du troupeau. Dans un premier temps, il estime avoir été entendu par l'administration locale.
«En région, ils ont dit que c'était original mais pas illégal», explique Michel Welter. «Je les remercie, ils ont été très impliqués, très à l'écoute. D'ailleurs si c'est passé au Coderst, c'est bien légal».
Jusqu'au printemps dernier, le projet semblait donc sur de bons rails.
En avril, le Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) de la Somme avait émis un avis positif sur le projet. Et l'instruction du Préfet de la Somme semblait alors se diriger vers un «oui, mais», conditionné à de nombreux contrôles sur le plan d'épandage durant toute la durée de «montée en puissance» de la ferme.
Mais en mai dernier, après le changement de gouvernement, le ministère de l'Écologie a repris le dossier en main, suite aux alertes lancées par de nombreux élus écologistes, parmi lesquels José Bové dont les critiques virulentes portaient sur le fond du projet.
Mais au travers de ses dernières recommandations, le ministère de l'Écologie ne semble finalement pas s'opposer frontalement au projet. Il semble tout juste remettre en cause, sans l'exprimer officiellement, les avis précédemment émis par l'administration départementale sur le plan d'épandage.
Une opposition sur la forme et non sur le fond. Et un revirement de la position de l'État que Michel Welter ne digère pas: «Pourquoi les instances locales ont-elles dit oui, et Paris dit aujourd'hui non? Pourquoi ne pas avoir retoqué le projet tout de suite? C'est politique, quoiqu'en dise le Ministère. Nous avons toujours dit que nous n'avions pas le plan d'épandage».
Malheureusement pour les opposants aux «1000 vaches», le projet de Michel Ramery a déjà franchi de nombreuses barrières administratives. Intervenu trop tardivement sur le dossier, le ministère de l'Écologie du nouveau gouvernement socialiste peut difficilement empêcher le projet d'aboutir, au risque de voir Michel Ramery se retourner contre lui, en justice.
Les deux parties semblent donc condamnées à négocier, à trouver un compromis.
500 vaches ? Hors de question pour le porteur de projet
Selon des sources proches du dossier, les négociations portent aujourd'hui sur une réduction du projet à un cheptel 500 vaches laitières, tout de même adossé à une unité de méthanisation.
Mais le porteur de projet est farouchement contre. «Et pourquoi pas 283 vaches? Pourquoi pas 2000? Ce n'est pas une négociation de marchands de tapis», tempête Michel Welter. «Et bientôt on va me reprocher de ne pas me contenter de 500 vaches. Si j'accepte de faire un projet à 500 vaches, cela veut dire que tout ce que je racontais dans le dossier d'enquête publique n'était que du flan. Il y a une réalité économique derrière ce projet. Avec 500 vaches, on foncerait dans le mur.»
Une position qui n'a pas changé depuis le début de l'enquête publique, il y a plus d'un an.
Interviewé dans le journal Horizons, un journal agricole du Nord-Pas de Calais, en novembre 2011, Michel Welter expliquait pourquoi ce projet initialement prévu pour 500 vaches avait été rapidement redimensionné à 1000 vaches. «[Avec Michel Ramery, ndlr], nous avons visité des fermes chez nos voisins européens. Nous sommes allés en Italie, en Hollande, en Allemagne. Tous nous ont dit: votre projet à 500 vaches, c'est une bonne idée, mais c'est la pire. Nous n'avions raisonné qu'économie et gestion du troupeau, mais nous n'avions pas mesuré que le vrai problème c'est la gestion des hommes.»
L'agriculteur explique les difficultés de management que rencontrent les exploitations dont le troupeau est compris entre 200 et 500 vaches, et l'avantage que représentait un projet de 1000 vaches. «Au delà de 500 vaches, vous êtes sur des gros volumes de salariat. Vous spécialisez les hommes. (...) nous sommes rentrés de ce voyage en Allemagne, nous avons pris notre papier et notre crayon. Les vaches ne nous inquiétaient pas. 200 ou 800 vaches, c'est la même chose en terme de confort des animaux, mais pas pour la main d'oeuvre. À 800 vaches, nous avons trouvé un système: trois ou quatre chefs d'équipe, une dizaine de personnes salariées. Nous sommes montés à 1000 vaches pour amortir l'installation de traite. Dilution des charges de structures. Le reste, c'est de la fantasmagorie.»
En déclarant dans le Courrier picard, le 27 octobre dernier, «si le projet est limité à 500 vaches, j'arrête tout», Michel Welter a adressé un message clair au ministère de l'Écologie et à la Préfecture. Pour lui, c'est «1000 vaches avec unité de méthanisation» ou rien. «À l'heure actuelle, j'attends une proposition de la préfecture, explique-t-il. Nous pouvons la refuser ou l'accepter. On verra ce qu'il y a dedans.» Cela tombe bien: le sous-préfet d'Abbeville souhaite que les négociations se concluent au plus vite.