Peu nombreux mais toujours aussi déterminés, mardi matin, une quarantaine d'opposants au projet des 1000 vaches avaient fait le déplacement à Amiens pour demander une nouvelle fois au préfet de la Somme de mettre fin au projet de l'entrepreneur Michel Ramery, à Drucat près d'Abbeville. Ils seront prochainement reçus, a promis le préfet.
Depuis l'été, l'association drucatoise Novissen a pris une ampleur nationale, au travers des médias, mais aussi du collectif Les vaches en colère, dont elle fait partie avec la Confédération paysanne, et les associations L214 et Agir pour l'environnement. Mardi, des rassemblements du collectif étaient organisés à Lille, Marseille, Lyon et une dizaine de villes, où des militants se sont à chaque fois rassemblés sur le mot d'ordre, «Non aux 1000 vaches».
Vincent Chombart (Confédération paysanne) et Martial Mouqueron (L214)
Sur le bitume, la sauce prend. «On est différents, mais on s'entend bien», entendait-on mardi matin à Amiens, au détour d'une discussion entre militants. «Il faut continuer à se rassembler. Il faut réussir à créer le rapport de force».
Les plus âgés arboraient le plus souvent des panneaux de l'association de riverains Novissen. Les plus jeunes brandissaient les drapeaux du parti Europe-Ecologie-Les-Verts, du syndicat agricole Confédération paysanne, ou portaient les k-ways oranges de l'association de protection des animaux L214. Peu de masques de vaches, symboles du collectif Les vaches en colères.
Entre associations et syndicalistes agricoles, le rapprochement politique s'est fait. Les militants de Novissen rencontrés mardi veulent une agriculture «à taille humaine et paysanne, expliquait Francis Chastagner, porte-parole du jour. Il faut encadrer l'agriculture intensive». «Au départ, c'était pour des questions d'environnement direct. Mais on s'est aperçus rapidement que cela soulevait des questions économiques, sociales, environnementales», explique un autre militant de Novissen.
La date du mardi 8 janvier correspond au début de l'examen du projet de loi d'avenir de l'agriculture française par l'Assemblée nationale. À Paris, une centaine d'opposants parmi lesquels la députée de la Somme, Barbara Pompili, s'étaient réunis devant le parlement.
À l'intérieur de l'hémicycle, c'est elle-même qui aborda le sujet lors des questions au gouvernement. «Quelles sont donc les mesures que vous comptez inscrire dans cette loi pour éviter des dérives telles que cette ferme des mille vaches?», a-t-elle demandé au ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, qui lui répondit par une pirouette, en précisant que le projet n'était pas de «mille vaches, mais bien cinq cents, suite à l’intervention du Gouvernement, en particulier du ministre de l’Écologie» (voir notre article). Ce dernier, à l'instar des élus socialistes du département, s'est déjà positionné contre l'esprit du projet, mais pas pour l'interdiction du projet lui-même.
Pendant ce temps à Drucat, le bâtiment prend forme, sous l’œil attentif des militants, dont l'un plane régulièrement au dessus du terrain à bord de son ULM. L'anecdote a son importance. Il y a quelques semaines, il a remarqué que les bâtiments qu'il voyait sous ses yeux ne correspondaient pas aux plans fournis par le porteur de projet lors de l'enquête publique.
Photo aérienne du site, le 14 décembre dernier (crédit photo: Novissen).
La stabulation n'est pas placée où elle devrait, et le hangar de stockage de la paille est placé sur une zone archéologique. Les militants de Novissen comptent bien profiter de cette grossière erreur pour essayer de mettre à mal les desseins de Michel Ramery.
En effet, selon la loi, il aurait dû demander un permis de construire modificatif avant d'effectuer des travaux non conformes au permis initial. Dans la pratique, l'administration délivre régulièrement et sans broncher des permis modificatifs après que les travaux ont été effectués.
Les militants de Novissen s'apprêtent donc à attaquer le permis de construire modificatif, déposé par la société de Michel Ramery le 28 novembre dernier, dans une procédure pénale en référé afin de faire suspendre les travaux. «Tant que le bâtiment est en construction, on peut demander la suspension des travaux», explique l'avocat de Novissen.
La préfecture a envoyé mi-décembre les services de la Drac et de la DDTM sur le terrain pour constater de leurs yeux assermentés l'écart entre le permis et les travaux. Sur le chantier, la construction des bâtiments concernés a néanmoins été stoppée. La préfecture instruit parallèlement le permis de construire modificatif.
L'espoir d'un démontage
Si les recours contre le permis de construire échouent, il restera à l'arc des militants de Novissen une dernière corde juridique. Ils pourront attaquer l'autorisation d'exploiter, également délivrée par le préfet, jusqu'à six mois après le début de l'exploitation des bâtiments.
L'avancée des travaux n'effraie pas les militants, bercés par l'idée que le gouvernement puisse ordonner le démontage de l'édifice après sa mise en route.
Théoriquement, cette hypothèse n'est pas exclue. Il faudra pour cela réunir deux conditions. Que le tribunal administratif juge que le permis de construire ou l'autorisation d'exploiter délivrée par la préfecture est illégal.
Si c'est le cas, le tribunal administratif ne peut ordonner lui-même le démontage des installations. Il faudra que les militants gagnent à nouveau l'affaire dans une procédure pénale, et qu'un juge demande la remise en état du site, autrement dit son démontage.
Et dans ce cas, c'est la collectivité qui paierait la note. Celle des dommages et intérêts que Michel Ramery pourrait réclamer à l'État pour lui avoir donné le feu vert administratif d'investir à Drucat.